De rerum natura (De la nature) de Lucrèce au TNS
Christophe Perton crée De rerum natura (De la nature), seul ouvrage conservé de Lucrèce. Interview à quelques semaines de la création au TNS.
Nous connaissons mal Lucrèce. Camus en faisait l’un des exemples d’homme révolté de son ouvrage éponyme…
Lucrèce, “l’homme révolté” de 35 ans, âge auquel on s’accorde pour dater l’écriture de son long poème au Ier siècle avant J.C., est un peu une formule. Camus s’en sert d’exemple car Lucrèce s’insurgeait contre la bêtise, la guerre et les absurdités de l’obscurantisme. Mais au final, on sait peu de choses de lui.
Votre pièce débute par le récit de la peste touchant Athènes, en écho à l’épidémie qui nous a touchés en 2020…
Chez lui, elle vient quasiment ponctuer le texte. Mon replacement sert à faire écho à notre situation, même si Lucrèce faisait preuve d’ironie et de cynisme en alertant par ce biais ses contemporains sur la nécessité de se tourner vers la science et la recherche plutôt que de s’en remettre à l’intervention des Dieux pour sauver les hommes.
Lucrèce est un anti-religieux qui se moque des charlatans vendant l’au-delà comme une pilule magique. C’est d’une grande modernité !
J’aimerais que cela le soit. Malheureusement le retour du fait religieux, omniprésent aujourd’hui, ne plaide pas pour cette lecture. À la fin de la Renaissance, avec l’avènement des Lumières, oui, mais actuellement les théocraties sont nombreuses et les démocraties ployant sous la religion, comme les États-Unis, montrent à quel point ils remettent leur avenir dans les mains de Dieu plus que dans la raison.
Nous prenons l’effet boomerang de plein fouet…
Je ne veux donner aucune leçon. Je suis pour un mysticisme et une spiritualité vis-à-vis de la nature et entre les êtres mais je pense que la foi envers les dogmes et croyances religieuses est mortifère. L’obscurantisme qui en découle fait qu’on ne regarde pas la réalité. On s’en remet à un espoir vain. Les relectures des livres saints servent souvent à causer de la misère.
Quelle est l’influence de la chute de la République d’Athènes pour Lucrèce ?
Dans l’histoire, cette République est un moment clé de progressisme, de représentation du peuple. L’histoire est faite de montagnes russes mais les progrès à l’époque sont indéniables en termes d’équité, même si l’on reste loin d’un idéal. Lucrèce vit la décadence romaine. Fasciné par Épicure, il chérit ce moment lumineux qu’il n’a pas vécu, mais dont il connait les récits : penseurs et philosophes se mêlaient d’astronomie, de sciences, de politique et de poétique. Comparaison n’est pas raison mais la démagogie populiste d’un Trump sonne comme une régression. Le retour de boomerang fait mal et prouve que toute conquête demeure fragile. La parole doublement millénaire de Lucrèce le replace comme un lanceur d’alerte.
Équilibre de notre rapport à la nature, confiance en la science, on a l’impression d’un texte écrit en regard de notre époque…
C’est stupéfiant en effet, sa manière de tout embrasser : religion, argent, science. Tout est déjà là ! 2000 ans ce n’est finalement rien. Lucrèce a raison de dire que le temps est une fausse valeur, un leurre qui n’existe pas. Nul besoin de le moderniser, il l’est déjà !
Au Théâtre national de Strasbourg du 13 au 21 décembre
tns.fr