David Bobée réinvente Dom Juan à Luxembourg et à Strasbourg

© Arnaud Bertereau

David Bobée dresse un portrait à charge de Dom Juan, plus anti-héros méprisable que personnage épris de liberté. Entretien.

Vous vous attaquez à l’œuvre de Molière après avoir revisité Peer Gynt d’Ibsen. Qu’est-ce qui vous attire dans la figure de la crapule ?
Il y a en effet une sorte de filiation entre Peer Gynt, qu’on adore détester, et Dom Juan, grand salopard qu’il est fascinant d’observer. J’ai longtemps esquivé le rayon Molière de ma bibliothèque, car je me sentais moins proche de son humour. J’ai en quelque sorte eu peur de passer à côté de sa problématique : en la redécouvrant avec un regard d’adulte, j’ai trouvé des clés de résonance avec notre époque. Dom Juan n’est pas un personnage libertin, c’est un prédateur de son temps qui tend un miroir aux systèmes de privilège et de domination du monde d’aujourd’hui. Le débat autour des statues sur la place publique était aussi dans ma tête : faut-il les déboulonner, les laisser intactes ? Tout entrait en concordance pour que je m’y intéresse.

D’immenses statues de héros, oubliés ou déchus, trônent justement sur scène.
Il y a une reproduction de la figure littéraire d’Achille, une personnalité coloniale, une divinité grecque et un mélange de politiques, tels Staline et Napoléon. Bien que détruites, elles symbolisent le triomphe de la masculinité toxique. Dom Juan se balade dans ce cimetière de sculptures en ruines, colossales et, au demeurant, admirables. Il est beau de le voir se pétrifier, à la fin. Il devient fossile parmi les fossiles.

David Bobée – Dom Juan

Dans l’œuvre originale, l’enfer s’ouvre sous ses pieds. Votre version est tout autre, puisqu’il se fait tirer dessus. Pourquoi ce virage ?
Il y a deux raisons. D’abord, les questions de foi et de religion sont difficiles à mettre en scène, pour moi, car elles appartiennent à la sphère privée. Je trouve qu’un deus ex machina venant le venger à notre place ne raconte pas grand-chose. Avec une mort par balle, ça le met à hauteur humaine. Ensuite, ce n’est pas n’importe qui qui s’en charge : c’est Charlotte. Elle le tue après avoir été malmenée, violentée et, disons les termes, forcée de l’embrasser. Pierrot prend du reste en charge une partie de cette vengeance, car il interprète la voix du commandeur. Un parcours de réparation est donc accordé aux victimes. La punition vient de la place humaine et non plus d’une croyance déiste.

Dom Louis et Dom Carlos sont joués par deux comédiennes. Vous avez toutefois fait le choix de féminiser le premier à 100%. Il n’est plus le père de Dom Juan, mais sa mère. Qu’apporte cette différence ?
Je trouve intéressant que les valeurs de la droiture, l’honneur, le courage et l’honnêteté, soi-disant des vertus masculines, soient incarnées par des femmes. Pour Dom Louis, ça va au-delà. Quand un père s’en prend à son fils, j’estime que cela tend beaucoup à excuser Dom Juan. Mon but n’est pas de l’excuser. Autre chose se joue lorsque les reproches viennent d’une mère. Sa colère est moins morale, mais plus violente. Une femme le remet enfin à sa place.


Au Grand Théâtre de Luxembourg du 25 au 27 septembre et au Théâtre national de Strasbourg du 8 au 16 janvier 2025

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