Dark Zone
Initiateurs d’Urban Scénos, séries de résidences d’artistes sur le continent africain, François Duconseille et Jean-Christophe Lanquetin livrent l’installation << RR = FF >>. Une exposition qui réinvente et reformule ces parcours et créations artistiques.
Ils sont deux, professeurs aux Arts déco de Strasbourg mais aussi commissaires d’expo et scénographes. Ensemble, ils forment la base du collectif ScU2, « à prononcer comme le missile », disent-ils dans un éclat de rire. En 2000, ils rencontrent des artistes camerounais à Douala. Germe l’idée de monter une résidence dans l’espace urbain où ils vivent, un quartier populaire plutôt délaissé, à l’architecture vernaculaire[1. L’architecture vernaculaire emploie des matériaux, des techniques de mises en œuvre et des codes esthétiques souvent inspirés des architectures anciennes environnantes]. « Personne n’y faisait quoi que ce soit, artistiquement parlant », explique Jean-Christophe. « Nous avons eu envie d’y réunir des artistes d’horizons variés – d’Afrique, d’Europe, du monde arabe – travaillant dans l’espace public pour croiser les regards sur ce lieu, sa sociabilité, sur la création contemporaine… » Deux ans seront nécessaires afin de monter le projet et accueillir 26 artistes pour une résidence d’un mois. Les “Scénographies Urbaines” étaient nées, charriant un questionnement sur « le faire ensemble, malgré les différences culturelles, économiques, historiques ». Suivent sur le même modèle, au gré des rencontres, Alexandrie (2004), Kinshasa (2006/07) et Johannesburg (2009). Autant de dispositifs de création inscrits en immersion dans le contexte de ces grandes villes africaines, réalisés à parité avec des collectifs d’artistes locaux et, bien entendu, avec les habitants.
Le post-colonialisme en question
Des tendances et des problématiques se sont dégagées au fil des résidences, notamment un questionnement sur l’imaginaire et la réalité du monde post-colonial. Le choix de l’Afrique n’était pas un hasard. « La centaine d’artistes ayant participé à ces quatre résidences forme un réseau organique, informel et élastique. Leur formulation – par la vidéo, l’image, le texte et la performance – de questions non résolues a participé à l’émergence de zones d’ombre : les problèmes liés à l’héritage et aux séquelles du colonialisme, le problème de fonctionnement entre personnes, celui de la représentation, des perceptions croisées, des malentendus et incompréhensions… » Autant d’interrogations auxquelles le duo souhaite confronter le public strasbourgeois.
<< RR = FF >> (comprenez rewind = forward, comme sur un magnétoscope) est une installation qui leur permet de proposer un acte scénographique et artistique sur l’ensemble des “Urban Scénos”. Elle fait suite à une cartographie initiée à Art Basel, en juin 2009 (voir photo). Dans le vaste espace du Hall 1 du Maillon-Wacken, ils installent quatre écrans. Sur trois d’entre eux défileront une cinquantaine de photographies et près de trois heures de vidéos (performances filmées, courts métrages, ateliers avec des habitants…). Des fragments de textes lézarderont les murs et le sol sur lequel prendront place des bâches avec des arborescences (de lieux, d’idées…), des réflexions, des liens… Le sens et les repères concrets de ces créations réalisées in situ (dans des rues, des cours intérieures, des écoles…) dans un processus poreux né de l’interaction entre un artiste, un lieu et des spectateurs-témoins, se déplacent lorsqu’on les redéploie loin de leur espace de création. Difficile de re-placer du sens dans tout cela pour un public étranger au temps de création, mais aussi à son lieu et à son environnement. François en convient, c’est « tout sauf une exposition simple. S’il n’est pas question d’être donneurs de leçon, on ne veut pas plus être didactiques. Nous avons envie de perdre les gens dans notre installation, de les surprendre, d’être problématiques… C’est pour cela que la forme définitive n’est pas encore arrêtée ».
Errance en substance
« Il est important pour nous de dépasser les questions anodines mais signifiantes, les lieux communs à la limite du racisme qui reviennent sans cesse : les gens nous demandent souvent pourquoi aller faire de l’art contemporain là-bas ? Sous-entendu, les habitants de ces villes africaines ne vont pas comprendre ! » Les deux compères nous réservent une soirée de finissage au cours de laquelle ils devraient activer leur réseau à grands renforts de présence numérique grâce à Skype. Pas sûr d’ailleurs qu’ils soient eux-mêmes physiquement présents. Interventions, performances croisées d’un continent à l’autre, projections, participation active du public… Autant de possibilités pour achever cette exposition en beauté.
03 88 27 61 81 – www.le-maillon.com
www.eternalnetwork.org/scenographiesurbaines
Soirée de finissage et performance, mardi 30 mars à partir de 19h30