Danses sauvages
Pour sa 24e édition, le festival Nouvelles, dédié à la danse et à la performance, essaime dans divers lieux de la région avec une touche de mystère et une autre d’engagement.
Nouvelles est à l’aube d’une grande refonte. La directrice de Pôle Sud et programmatrice du festival Joëlle Smadja se lance dans un audacieux double événement pour 2015 : une partie des spectacles sera en salles au mois d’avril, l’autre appelée « Extrapôle se concentrera dans des endroits non-conventionnels, en extérieur, dans l’espace public » en mai. L’objectif est tout autant d’aller au devant de nouveaux publics que de s’étendre sur le territoire en multipliant les partenariats, notamment avec la MAC de Bischwiller qui accueille déjà plusieurs spectacles cette année. Le présent festival monte en puissance, s’étendant pour la première fois sur plus de deux semaines avec des fidélités en gage de valeurs sûres : François Verret en résidence au long cours sur la mémoire à Pôle Sud pour son “Chantier 2014-2018”, Olga Mesa avec Francisco Ruiz de Infante (Carmen / Shakespeare – Acte Second : Les Crash_Tests) ou encore Radhouane El Meddeb (Nos Limites) vu plus tôt dans la saison aux côtés de Thomas Lebrun dans Sous leurs pieds, le paradis.
Love, etc.
Ce dernier revient, avec Trois décennies d’amour cerné sur les conséquences de l’éclosion du Sida avec un spectacle à la bande son hypnotique (Patti Smith…). Trois solos et un duo nous emmènent entre risques, doutes, peurs et solitudes depuis la découverte des ravages dans cette génération maudite, balayée par l’effroi suscité par la maladie infectant rapidement la moitié des homosexuels de San Francisco, jusqu’à l’écho de la souffrance et de la disparition des êtres se lovant dans la chair de la danse. Thomas Lebrun, lui-même interprète du solo final, joue de corps noueux et de postures suggestives pleines de passion, de provocation et de cette liberté touchant au lâcher prise exhortant la peur de l’incertitude de l’avenir. Sans dramatiser à outrance, ses danseurs musculatures saillantes dans des éclairages spectraux, nous entrainent en eux. Le duo d’Anne-Emmanuelle Deroo et Raphaël Cottin rompt avec la triste solitude régnant dans le reste de la pièce. Leur corps à corps charnel et énergique, tout en verticalité, portés et équilibre mutuel est d’une sensualité sublime, contenant ce qu’il faut de douceur et de retenue. Une page d’amour angoissé mais non moins sublime où le désir triomphe. Le chorégraphe livre une version intime et pourtant universelle de l’évolution à jamais modifiée par le Sida de notre rapport à l’amour, à la sexualité et donc, à l’autre.
Corps sombres
Autre beau moment du festival, l’installation chorégraphique et déambulatoire – dont le lieu est tenu secret, rendez-vous est donné au public à Pôle Sud ou au Parc de l’Étoile pour prendre un bus à destination inconnue – de Michaël Cros intitulée Sauvages. Artiste associé au TJP depuis 2012, il interroge les frontières entre condition humaine et animale. Suite à un atelier préparatoire mené à la rentrée avec des amateurs, il en réunit douze, de 20 à 55 ans, pour travailler sur ce projet avec huit performeurs-danseurs qui investiront un territoire nocturne que le public est invité à explorer. S’il ne veut « pas trop en dévoiler », le chorégraphe et plasticien de la compagnie Méta-Carpe lâche tout de même qu’il y aura « une Base, sorte de lieu ressources où chacun trouvera quelques informations, plutôt énigmatiques, sur notre travail de création. Une mise en condition… minimale, pour ne pas dire minimaliste ! » Secret ce Michaël ? Soucieux surtout de préserver l’effet de surprise et le conditionnement spécialement pensés pour l’occasion. Lui qui questionne depuis plusieurs années le sens de l’expérience collective et du groupe confronte ses auditoires aux frontières de l’humanité, à ce qu’il nomme « des corps sombres » : les zoos humains en 2010, les corps malades d’un étrange sanatorium (Corpus Sanum[1. Lire L’Armée des sombres autour de Corpus Sanum, création précédente de l’artiste dans Poly n°157], 2012) et, ici, les hommes sauvages. L’artiste est pour lui « un sémionaute » proposant des expériences dans lesquelles le public a un rôle à jouer, loin de toute passivité. En petits groupes, chacun pourra découvrir « des bribes de danse et de rituels nocturnes, une marionnette proche du golem manipulée par trois danseurs comme dans le bunraku japonais dans une recherche d’harmonie entre les corps vivants et l’objet ». Bien assez pour frissonner – d’avance – de plaisir.
03 88 39 23 40 – www.pole-sud.fr
# Sauvages de Michaël Cros, vendredi 23 et samedi 24 mai dans un lieu tenu secret (départ en bus de Pôle Sud à 22h ou du Parc de l’Étoile à 22h15)