Réunissant une trentaine de missives oubliées depuis un siècle, Courbet, les lettres cachées dévoile les confidences sensuelles entre le peintre et une mystérieuse Parisienne. Entretien avec Pierre-Emmanuel Guilleray, conservateur à la Bibliothèque de Besançon et l’un des découvreurs de ce trésor.
Comment cette correspondance a-t-elle été découverte ?
Elle est conservée à la Bibliothèque depuis 1906, mais son caractère érotique imposait la discrétion. Le secret s’est transmis entre conservateurs jusqu’à tomber dans l’oubli. La pile de lettres est restée dans un placard, puis sur une étagère, pendant des dizaines d’années. Nous allons bientôt déménager et sommes tombés dessus par hasard, en faisant du rangement !
Qu’est-ce qui vous a décidé à leur dédier une exposition ?
Les échanges s’échelonnent entre novembre 1872 et avril 1873 et comptent 116 courriers, dont 25 de Gustave Courbet et 91 de Mathilde Carly de Svazzema. C’est une période de transition pour lui, de retour à Ornans après un séjour en prison. Nous avons d’abord étudié les documents dans la perspective d’une édition critique, à paraître chez Gallimard. Envisagée un temps, une exposition au Musée Courbet n’a pas pu se faire. Il nous est apparu que cette idylle épistolaire si surprenante se suffisait à elle-même. Nous avons donc sélectionné 36 cartes la retraçant du début à la fin.
Courbet est l’un des rares artistes à s’être abondamment raconté de son vivant. Que nous apprennent ces écrits ?
Même si sa réputation d’homme à femmes le précède, sa correspondance complète, qui compte environ 600 messages, ne comporte aucune lettre intime. On savait donc beaucoup de choses sur lui, mais cet aspect de sa vie restait méconnu. Si sa plume sulfureuse n’étonne pas les spécialistes, nous en savons davantage sur l’homme qu’il était réellement.
Le peintre adopte effectivement un langage très osé !
C’est ce qui nous a frappés. Mathilde Carly de Svazzema a 33 ans lorsqu’elle écrit à Courbet pour la première fois. Issue de la bonne société parisienne, elle a été abandonnée par son époux, s’exposant à la précarité. Elle admire le peintre, de vingt ans son aîné, et ose lui en faire part. L’alchimie opère. Ils parlent de peinture mais aussi de leurs quotidiens respectifs. Il se jette à corps perdu dans cette relation secrète, déployant un érotisme faisant écho à son travail autour du nu féminin. En témoigne son obsession pour l’anatomie de sa partenaire, à laquelle il consacre de longues descriptions très visuelles. Bien qu’il ne cite pas nommément L’Origine du Monde, on y pense forcément.
Est-ce à dire que ces communications intimes ont une valeur scientifique ?
Absolument ! En travaillant avec le Musée Courbet, nous sommes parvenus à identifier certaines toiles mentionnées par l’artiste, ce qui éclaire leur genèse. À cette époque, il est en outre criblé de dettes et croule sous les commandes de tableaux, faisant appel à des collaborateurs chargés de préparer ses paysages. Les spécialistes avaient connaissance de ce procédé mais la correspondance confirme sa réalité, marquant une avancée dans l’étude de son oeuvre.
À la Bibliothèque municipale de Besançon jusqu’au 21 septembre