Dans le jardin d’Éden : La Table du Gourmet Riquewihr

La passion brille dans le regard de Jean-Luc Brendel. La passion pour un art découvert lorsqu’il était encore étudiant en biologie. Il donnait alors un coup de main dans le restaurant familial, Aux Trois Lièvres, adresse strasbourgeoise où qualité rimait avec simplicité (désormais remplacée par de fades burgers stéréotypés). « À force, je me suis pris au jeu », résume-t-il. Installé à Riquewihr depuis fin 1982 – avec pour seul bagage des expériences au Hilton et chez Zimmer- Sengel –, il a construit son identité culinaire pas à pas, avec la « simplexité » pour mot d’ordre. Ou l’art et la manière de créer des plats épurés d’une apparente évidence, sous-tendus par des techniques élaborées. Travaillant un espace cultivé en permaculture de quelque 70 ares, il « vise l’autosuffisance. C’est le cas à 100 % pendant quatre mois. Les plus mauvais, nous sommes à plus de 80 % », explique-t-il. Biotope servant à alimenter le restaurant, les jardins du Kobelsberg sont « la muse autant que la palette » du chef. Ils donnent des légumes aussi rares que l’extraordinaire haricot dragon d’origine tropicale (dont toutes les parties sont comestibles) ou la bonnotte, variété de pomme de terre précoce qui fait la célébrité de Noirmoutier, aux accents de noisette. Le lieu permet toutes les recherches gustatives venant alimenter les créations maison : « Nous avons planté des asiminiers il y a quelques années, qui livreront leurs premiers fruits en 2022. » Bientôt nous aurons donc du paw-paw dans nos assiettes, dont le goût évoque un mix entre mangue et banane.

« Il faut cultiver notre jardin » : épousant la maxime voltairienne, Jean-Luc Brendel imagine des plats époustouflants, qui sont autant de paysages gastronomiques. Certains sont méditatifs, à l’image d’une chiffonnade de betteraves s’amusant avec de goûteuses groseilles pour former la corolle d’une fleur dont les étamines sont figurées par une glace au raifort. Pour conter fleurette à cette excitante composition, un verre de la cuvée Artisan, macération à la robe délicieusement orangée du Vignoble du Rêveur de Bergheim, permet un joli jeu dialectique autour des fruits rouges. D’autres panoramas culinaires sont plus toniques comme Fan de carottes ?, assiette ultra-graphique où cinq points semblant sortis de l’univers de la plasticienne Yayoi Kusama explorent autant de saveurs possibles du légume. Les dernières échappées belles proposent une randonnée vosgienne automnale, que ce soit une étonnante variation autour de l’oseille ou un chevreuil rouge d’épices jouant, dans une jolie stratification horizontale aux saveurs explosives, avec des buewespaetzle de cèpe et du chou salé à la fière amertume.