Dandy dada
Au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, Tristan Tzara, l’Homme approximatif dresse le portrait d’un poète, écrivain d’art, collectionneur… et chahuteur.
« Il y a un grand travail destructif, négatif à accomplir », affirma Tzara, proto-punk prétendant ne rien vouloir savoir des hommes avant lui et n’hésitant pas à, artistiquement, “attaquer” le public. Serge Fauchereau, commissaire général de l’exposition, parle en effet d’« attaques contre la société dans ses valeurs fondamentales que sont le langage et la logique au service du conservatisme et d’une morale qui a failli. » Le MAMCS retrace la vie d’un agitateur immédiatement identifiable – monocle, canne, costume sombre –, un homme bien né, en 1895 en Roumanie, ayant changé de nom (exit Samuel Rosenstock) pour devenir un écrivain mondain très proche des avant-gardes et portraituré par Picabia, Man Ray ou Giacometti. Tzara est un artiste de la rupture, de la révolte, poussant un cri contre un monde en guerre qui n’imagine son futur qu’au fond d’une tranchée. Estelle Pietrzyk, directrice du musée, évoque « un génie des relations publiques » au « rire tonitruant », un « performer » avant l’heure scandant ses propres textes au Cabaret Voltaire, club de Zurich où Tzara s’installe en 1915. Le Cabaret est l’antre de l’art multiforme – poèmes phonétiques, chorégraphies étranges, théâtre d’un nouveau type – et des rencontres inédites où Tristan Tzara, Hugo Ball, Richard Huelsenbeck, Hans Richter ou son ami Hans Arp défendent l’improvisation et le hasard. La spontanéité. Pour eux, « l’Art n’est pas sérieux ».
L’exposition offre un parcours chronologique. Un panorama composé de livres, revues ou correspondances, d’œuvres d’art et de photographies mettant en lumière un homme vivant à une époque “approximative” (le titre de l’expo fait référence à un long poème de 1931 où il semble dialoguer avec lui-même), un créateur paradoxal et multiple. Tzara revendique faire table-rase du passé, mais s’intéresse à l’Art ancien, notamment égyptien. Noceur notable, il vécut quelque temps reclus dans sa maison / bunker (dont on découvre une maquette dans l’expo) construite par Adolf Loos à Paris. Artiste engagé, il fut blacklisté par le Parti communiste. Proche d’Aragon ou Éluard, il sera victime d’un “embargo” de Breton et des Surréalistes. Sous les feux de la rampe ou dans l’obscurité la plus totale, Tzara a continué à écrire des textes, illustrés par Picasso ou Arp, et à faire fructifier sa collection mêlant artistes de son temps (Chirico, Miró…), Art africain ou océanien et œuvres de ce que l’on n’appelle pas encore Art brut. Il a sans cesse contesté les règles « de manière percutante ». Une centaine d’années après Cabaret Voltaire, il semblait nécessaire de « regarder cette période chaotique, pas si éloignée de la nôtre, avec acuité », affirme la directrice du MAMCS, espérant que le public se « laissera contaminer » par l’énergie de Tzara.
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Portrait de Tristan Tzara
Francis Picabia (1879-1953), Portrait de Tristan Tzara, 1918, mine graphite, gouache et aquarelle sur papier, 62,8 x 45,6 cm, Paris, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle © ADAGP Paris 2014. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Georges Meguerditchian