Corps et âme

© Herman Sorgelos

Spectacle total, Phèdre fait escale au NEST et au Saarländisches Staatstheater. Fondé sur un texte de Yannis Ritsos, cet intense monologue est une hallucinante plongée dans la psyché de l’héroïne.

Après Ismène (2008) – et avant Ajax qui clôturera le triptyque – Marianne Pousseur et Enrico Bagnoli (avec la complicité de Guy Cassiers, « notre bonne fée, notre parrain ») s’attaquent à un autre monologue de Yannis Ritsos qui « n’a ni réécrit, ni actualisé la tragédie, mais l’a prolongée et complétée » explique le duo. Pour Marianne, seule en scène, le personnage incarne « une femme de quarante ans, accomplie et sensuelle, questionnant la féminité ». Amoureuse folle d’Hyppolyte, son beau-fils bien plus jeune, elle est enfermée, comme ligotée, dans cette « passion impure, sans échappatoire possible, qui la mènera à la mort ». La quintessence de l’héroïne tragique…

L’œuvre nous montre un être humain aux prises « avec ses maladies, ses frustrations, ses dépressions, un être souffrant atteint d’un trouble bipolaire » explique Enrico. C’est pourquoi le sous-titre de cette production est La Tragédie de l’oxymore : le spectacle est construit sur des oppositions (ombres / lumière, glace brûlante…) et propulse le public dans l’espace mental du personnage, dans un univers baigné par une musique oppressante et envoûtante à la fois, dont l’effet est démultiplié par l’amplification des « cycles biologiques, battements de cœur et respiration ». Le public entre dans sa tête et son corps. Toute frontière semble abolie… Tragédie de l’enfermement, de la sensualité sans cesse refrénée, Phèdre ressemble à une implosion organique des sens et de l’esprit irriguée par l’action de « “machines célibataires” qui permettent le développement d’une vie autonome, grouillante » : des plaques métalliques entrent en vibration, de la glace craque, un micro en mouvement génère d’étranges sons. La technologie sert alors à matérialiser la projection de l’intimité de Phèdre et « l’espace scénique en vient à se confondre avec son être le plus profond ». Au fil des minutes, on la sent se décomposer comme si, à l’oppression physique, répondait une dislocation de l’être.

À Thionville, au Théâtre en Bois, du 4 au 6 décembre
03 82 82 14 92 – www.nest-theatre.fr
À Sarrebruck, au Saarländisches Staatstheater, mercredi 11 décembre
00 49 681 30 920 www.theater-saarbruecken.de
www.khroma.eu

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