Confession d’un masque
En portant à la scène Providence[1. Paru chez P.O.L (16 €) – www.pol-editeur.com], Ludovic Lagarde poursuit son compagnonnage avec l’auteur Olivier Cadiot et le comédien Laurent Poitrenaux.
Elle est de ces aventures où s’entremêlent amitié et respect professionnel, où se composent des trajectoires artistiques marquantes et inédites. Plus de vingt ans de création pour le trio, sept spectacles et un troisième monologue avec l’adaptation de Providence en une seule histoire romancée à partir des quatre nouvelles initiales. Laurent Poitrenaux se retrouve projeté dans l’intérieur zen et bourré de technologie de son appartement d’artiste, revisitant des choses qu’il a vues dans sa vie. Cadiot pioche dans sa propre histoire pour construire un récit intime, revisité à travers des rencontres artistiques, de pétrifiantes coïncidences et de détails qui sont autant de mondes en soi. Nous croisons ainsi John Cage, William Burroughs, les illusions perdues et l’éducation sentimentale d’un jeune homme montant à Paris. Le tout dans une poésie sans pareille, au cœur des rêveries éveillées d’un homme sans qualités où naissent des saillies existentielles et bien humaines : « Quelqu’un disait je suis de l’air entre les voitures, je comprenais enfin ce que cela voulait dire. » Et le comédien, seul en scène de constater qu’il est fascinant de voir à quel point les problématiques des livres d’Olivier Cadiot rejoignent ses propres questionnements.
« À 30 ans, j’avais la sur-énergie du Colonel des Zouaves. Quinze ans après, je cherchais un peu de détente, ressentais le besoin de me calmer et d’arpenter d’autres terres au moment où est venu Un Mage en été. Et voilà Providence, peuplé de masques : celui d’une de ses créations, d’une vieille dame ou d’une jeune fille. J’arrive à mes 30 ans de métier et cette question m’habite : qui suis-je derrière les masques que j’emprunte ? Qui serais-je et comment parlerais-je si je ne disais pas les mots des autres ? » Laurent Poitrenaux confie une facette peu connue de son métier : « Je fais des “italiennes”[2. Répétition du texte en mode rapide à des fins de mémorisation, notamment des enchaînements de répliques] partout, dans la rue, en faisant mes courses… répétant les différents rôles que je joue chaque année. Je marmonne des textes sans cesse. Mais que ferais-je si ce n’était pas le cas ? Que penserais-je si j’avais le temps de regarder un peu plus le monde autour de moi, à l’image de la description totalement magique de ce jeune homme assis à une terrasse de café qui, regardant deux vieilles dames papoter, se sent devenir l’une d’elles. » Le climax de la pièce sera – une fois n’est pas coutume – filmique avec un dialogue entre l’interprète et son double sur pellicule. Un traitement original de la première nouvelle de Providence dans laquelle un personnage s’en prend à l’auteur qui l’a créé avant de l’abandonner, se retrouvant « nu comme un roi sans fou ». Pure confidence.