Complot qui croyait prendre
Avec George Kaplan, l’auteur et metteur en scène Frédéric Sonntag construit une comédie d’espionnage aux multiples ramifications dénonçant les conditions d’émergence des mythes conditionnant nos représentations du monde.
Que relie un groupe d’activistes agissant dans la clandestinité, des scénaristes planchant sur des scénarios catastrophes et un gouvernement invisible retournant à son avantage un problème contrecarrant sa mainmise sur la société ? George Kaplan. Un personnage d’Alfred Hitchcock dans La Mort aux trousses. Un mystérieux espion fantôme qu’on prend pour Cary Grant, un leurre lancé par la CIA qui lui donne vie en disséminant ici et là de (fausses) preuves matérielles de son existence. Fasciné par cette idée, Frédéric Sonntag invente une fiction en trois parties aux entremêlements complexes, jouant avec l’acuité des spectateurs pour distinguer les manipulateurs des manipulés, ceux qui fabriquent des histoires de ceux qui en tirent profit, ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. Se retrouvent cristallisés la quintessence des pensées du courant post-situationniste, du Comité invisible[1. L’Insurrection qui vient, publié en 2007 est téléchargeable au format pdf au www.lafabrique.fr], de l’utopie des nouveaux pirates à l’heure d’Internet[2. Lire l’excellent essai de Hakim Bey, TAZ –Zone Autonome Temporaire, publié en 1997 aux éditions de l’Éclat – www.lyber-eclat.net], des Anonymous mais aussi les dérives du storytelling[3. Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits de Christian Salmon, éditions La Découverte, 2008 – www.editionsladecouverte.fr].
À l’image du collectif Luther Blisset[4. www.lutherblissett.net] usant de l’anonymat et de canulars artistiques pour dénoncer les impostures médiatiques et les dérives de l’industrie culturelle, les activistes du groupe George Kaplan inventés par l’auteur / metteur en scène, aux accointances très Fauve ≠, veulent créer un mythe, à la fois acte artistique et politique. Avec beaucoup d’humour, nous cheminons dans une de leurs réunions secrètes, entre prises de bec narcissiques et processus de décision démocratique ubuesque : pétage de plombs sur l’utilisation pour chacun du patronyme George, vote pour savoir s’ils sont en réunion, sur comment la parole doit circuler ou sur l’intérêt même de voter ! Nous retrouvons George Kaplan dans la seconde partie où des scénaristes imaginent, sous prétexte d’écrire une série ou un film, diverses histoires relevant de l’anticipation stratégique et géopolitique avant qu’un gouvernement invisible – comble des théories conspirationnistes ! – ne retourne pour son propre intérêt le problème de l’émergence à grande échelle d’une identité fictive. Vous l’aurez deviné : George Kaplan ! Cette comédie d’espionnage contient sa dose de paranoïa, de répression policière à tendance fascisante, de carnage désespéré à l’arme à feu, de manipulations des foules par des éminences grises et de loufoque made in Hollywood. Pas si éloigné de nous en somme !
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