Cold girl
Onze ans après ses débuts remarqués, Anika revient avec Change, deuxième album envoûtant, où elle poursuit son exploration du côté obscur et magnétique de la musique.
Surgie de nulle part, l’énigmatique Anika fut révélée au monde par la grâce d’un premier opus ensorcelant, conçu avec Geoff Barrow de Portishead et empli de reprises entre post-punk et krautdub de chansons des Kinks, de Yoko Ono ou de Dylan. C’était en 2010. Elle avait 23 ans. Il aura donc fallu attendre plus d’une décennie avant que ne paraisse un deuxième projet solo de cette artiste anglo-allemande à l’aura de mystère et à l’univers musical absolument singulier. Sorti au cœur de l’été, Change est tout simplement un disque de pop expérimentale magnifique. Le genre d’album à la lumière froide, reposant sur des nappes de claviers et de lourdes basses, hypnotique et délicat à la fois. On y retrouve la voix unique d’Anika, toujours sur le fil, pouvant à chaque instant défaillir, avec son phrasé entêtant proche du spoken word, lestant chacun de ses refrains d’une épaisseur de sens captivante. Souvent, elle a été comparée à la légendaire Nico, pour sa beauté spectrale et cette façon de psalmodier l’anglais avec un accent allemand, détachant les syllabes sur un ton dénué d’affect. Impassible. Partout, flotte un air de nihilisme et d’introspection désabusée. « Some may say that you are only interested in one thing / That’s to get your own way » (Certains diront que tu ne t’intéresses qu’à une chose / Obtenir ce que tu veux), annone-t-elle en boucle dans un dialogue avec elle-même sur Finger Pies, d’abord vulnérable, puis de plus en plus détachée à mesure que se déploie la ligne de basse et que la rythmique monte en intensité. La jeune femme use de la répétition, module son intonation, démultiplie le sens possible des mots jusqu’à leur donner la force de ses convictions. « I’m not being silenced by anyone » (Personne ne me fait taire), scande-t-elle encore et encore sur le puissant Freedom, avec son tissu sonore sombre et saturé.
Anika chante haut et engagé. Sur le bourdonnant Never Coming Back, elle décrit l’impact de la présence humaine et des dégradations environnementales sur la faune ornithologique de son quartier du vieux Berlin-Est. Sans jamais pontifier pour autant, ni faire l’économie d’une réflexion sur sa propre responsabilité : « I saw the warnings, I saw them all / I saw the warnings, I turned a blind eye » (J’ai vu les signaux d’alarme, je les ai tous vus / J’ai vu les signaux d’alarme, J’ai fermé les yeux). L’album se clôt néanmoins sur une lueur d’espoir et de résilience avec la guitare rugueuse et la batterie de Wait for Something. Sur la ligne de crête entre nihilisme et optimisme, post-punk hypnotique et pop ultra stylisée, la chanteuse au timbre glacé d’une walkyrie restitue avec une fascinante justesse le chaos des émotions qui constitue le fond de l’expérience humaine. Noir et brillant.
À L’Autre Canal (Nancy), jeudi 23 septembre
lautrecanalnancy.fr