Clair obscur
Un dessin épousant les canons de la ligne claire au service d’un propos décapant : créateur du très dark Jojo de Pojo, Joost Swarte investit le Cartoonmuseum de Bâle avec ses œuvres multiformes.
C’est en 1977, à l’occasion d’une exposition sur Tintin à Rotterdam, que Joost Swarte forge l’expression “ligne claire”. Cela tombe bien puisque le dessinateur néerlandais est un adepte du style rendu célèbre par Hergé. Chez lui, la limpidité old school du trait est néanmoins mise au service d’un humour glacé, décalé et, bien souvent, très incorrect. Dans ses bandes dessinées, il revendique en effet les influences de « l’underground américain, mais aussi de Robert Crumb, Will Eisner ou encore Tomi Ungerer ». Souvent, ses recherches esthétiques s’approchent aussi du mouvement De Stijl, des futuristes ou du constructiviste russe Constantin Melnikov. Secouez le tout, vous obtenez des univers délirants qui se déploient dans les salles du Cartoonmuseum. Ils sont peuplés de créatures comme le sidérant et tonitruant Anton Makassar ou Jojo de Pojo, face absurde et obscure de Tintin qui, lui, ne serait pas surpris, au détour d’une case, à quatre pattes, en train de lécher le sexe d’une fille gironde. En fait, « c’est un “personnage concept” où se juxtaposent la culotte de golf du plus célèbre des reporters, un signe sur sa veste venu de Krazy Kat et une coupe de cheveux évoquant une note de musique ». Le contraste est total entre une narration extravagante aux accents surréalistes – développant une vision tout sauf optimiste du monde – et un dessin d’une grande netteté fait de contours nets et d’aplats de couleurs franches.
L’exposition montre également les multiples autres cordes de l’art de Joost Swarte : illustrateur de talent (notamment pour le New Yorker), typographe, éditeur, créateur d’objets invraisemblables, scénographe (du Musée Hergé de Louvain-la-Neuve construit par Christian de Portzamparc), mais aussi… architecte ! Il a conçu le Toneelschuur, théâtre de Haarlem (où il réside) : « Le budget était insuffisant pour payer un architecte. L’administration de l’institution, avec qui je travaillais régulièrement, m’a ainsi demandé de dessiner le nouveau bâtiment. Quand je suis venu avec les premiers croquis, ils m’ont demandé d’aller plus loin. Au début tout était très secret : en effet, si les politiques avaient su qu’un dessinateur de bande dessinée allait créer un nouveau théâtre, ce ne serait pas passé. » Le bâtiment est une belle réussite, comme le résumé du credo d’un créateur « qui a rendu le monde meilleur depuis qu’il l’a délicatement altéré » pour reprendre la belle expression de Chris Ware, doublement, autre partisan de la ligne claire, primé à Angoulême, en 2003.
+41 (0)61 226 33 60 – www.cartoonmuseum.ch