Cinq questions à… José Bové
Député européen depuis 2009, l’ex-faucheur d’OGM et démonteur de fastfood s’est-il assagi ? Pas tant… Au sein d’Europe Écologie-Les Verts, il a toujours l’ambition de faire souffler “l’esprit du Larzac” sur l’hémicycle. Rencontre avec un loup altermondialiste dans la bergerie libérale.
Alors que sort un documentaire, Tous au Larzac, que reste-t-il du combat que vous avez mené au début des années 1970 ? Cette histoire parle encore aux gens. Même si le mouvement à proprement parler n’a duré qu’une dizaine d’années là-bas, il ne s’est pas achevé en 1981, lorsque François Mitterrand a décidé d’annuler l’extension du camp militaire. Le Larzac est devenu le symbole de la mobilisation des citoyens face au pouvoir de l’Armée et de l’État. Ce combat du pot de terre contre le pot de fer a ouvert un espace de résistance nouveau, devenant la matrice des luttes futures, celles contre la mondialisation – le démontage d’un Mac Do – ou contre les OGM. Le Larzac illustre le présent et donne de l’espoir à des jeunes – pas encore nés au début des années 1980 – qui ont appris à ne jamais renoncer à leurs idéaux… Ce n’est pas parce que tout est ligué contre vous et que vous êtes tout petit qu’il faut baisser les bras !
Quels sont aujourd’hui les porteurs de cet “esprit du Larzac” ? Les Indignés ? Le Parti pirate ? Le Larzac n’est pas un label. Tous peuvent s’en revendiquer librement… Les deux mouvements que vous citez sont de bons exemples. Si les Pirates ont fait des résultats intéressants dans les urnes en Allemagne, c’est peut-être parce que les écolos sont devenus mous du genou en s’institutionnalisant. Ce type d’initiative, qui n’est lié à rien, ni à personne et n’est tributaire d’aucun accord électoral, est salutaire. Ces mouvements montrent que certains ont dépassé le stade du ras-le-bol non constructif pour aller plus loin. Les cadrer ou vouloir les récupérer politiquement n’a pas de sens. Ce qui compte est qu’ils posent les bonnes questions, qu’ils bousculent le ronron des institutions traditionnelles. D’une certaine mesure, en effet, ils sont tous les héritiers du Larzac.
Vous êtes aujourd’hui vice-président de la Commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen, alors que vous avez longtemps combattu la politique agricole commune. Avez-vous souhaité devenir député européen pour faire entrer l’esprit du Larzac dans l’institution ? J’ai voulu continuer le combat d’une autre manière : pour moi, la politique n’est pas un métier, mais un engagement. Un exemple concret de mon action ? L’année passée, nous avons réussi à montrer que la présidente de l’Autorité européenne de sécurité des aliments était aussi membre de la direction d’un des plus importants lobbys agro-alimentaires rassemblant les entreprises les plus puissantes du secteur.
Quelle est votre Europe rêvée ? Je m’étais battu de manière très claire pour le “non” au traité constitutionnel : il ne s’agissait pas de s’opposer à l’Europe, mais de lutter contre l’Europe des marchands et contre l’Europe qui déshumanise. La situation actuelle me fait dire que j’avais raison sur le fond en dénonçant les institutions économiques et financières et la façon dont les États font face à la crise. On le voit de manière caricaturale avec ce qui se passe en Grèce et en Italie où sont nommés, à la tête des gouvernements, les anciens des Banques centrales ou de Goldman Sachs ! C’est ça la solution à la crise ? C’est du grand n’importe quoi ! La seule possibilité aujourd’hui est un surcroît d’Europe, une Europe sociale écologique et solidaire !
Pensez-vous que l’écologie sera au cœur de la campagne présidentielle à venir en France ? Elle s’y trouve déjà, et de manière frontale, même si je ne sais pas, aujourd’hui, sur quoi cela va déboucher. Lorsque j’entends le candidat du Parti socialiste parler du nucléaire et avouer, sans honte, qu’il a pris ses ordres chez Areva et EDF avant de prendre position, cela me paraît invraisemblable. Je suis choqué qu’il n’apparaisse pas de manière évidente à tous les politiques que, plus que jamais, les questions d’écologie, de réchauffement climatique ou d’énergie doivent être au centre du débat. Prenez le Grenelle de l’environnement : la discussion entre les partenaires a été correcte et c’était tout à l’honneur de Sarkozy de l’initier. Mais à un moment, la contradiction a été totale entre cette volonté écologique et la réalité des lobbys industriels, le poids de tous ceux qui n’acceptent pas que les choses changent. Deux ans après Sarkozy a dit, en résumé : « L’écologie, ça commence à bien faire. » Aujourd’hui, les politiques, qu’ils soient à l’UMP ou au PS, se servent de l’écologie lorsque ça les arrange, pour appâter l’électeur. Ça a un nom : le green washing…
Pour en savoir plus, on lira Du Larzac à Bruxelles, un long entretien avec Jean Quatremer, correspondant de Libération auprès de l’Union européenne, paru au Cherche midi en février – www.cherche-midi.com