Chronique d’un peuple
Le Théâtre national palestinien et Adel Hakim adaptent Antigone de Sophocle et livrent une « tragédie palestinienne » en arabe où se croisent Éros et Thanatos.
La pièce de Sophocle narre un conflit fratricide opposant Polynice et Étéocle, fils d’Œdipe, pour le trône de Thèbes, le premier n’hésitant pas à attaquer la ville pour renverser son frère. Bilan : deux morts et un nouveau roi, Créon, leur oncle, interdisant formellement que l’on offre une sépulture à Polynice, préférant le jeter aux chiens sauvages. Antigone, la sœur des deux hommes, s’oppose à cette injustice, s’insurge et se retrouve condamnée à l’enfermement. Elle n’échappera pas au cachot, malgré les protestations d’Hémon, fils de l’intransigeant Créon et fiancé de la belle. Cette épopée familiale sanglante, mise en scène par Adel Hakim, a été créée à Jérusalem, avec le Théâtre national palestinien, durant deux mois.
La version du codirecteur du Théâtre des Quartiers d’Ivry s’ouvre sur la présentation du corps des deux jumeaux qui se sont entretués, dans une parfaite symétrie, sur les notes orientales du Trio Joubran nous plongeant dans la Palestine contemporaine. « Le parallèle se fait naturellement dans l’esprit du spectateur car il sait d’où viennent les acteurs », indique simplement un metteur en scène qui a scrupuleusement respecté le texte de Sophocle… traduit en arabe. Sur scène, un mur ajouré fait office d’écran où sont projetés les surtitres français ainsi que les mots grecs du texte original. « Trois langues méditerranéennes se rencontrent ici. » Seul écart, le remplacement d’un chœur de Sophocle par un poème de Mahmoud Darwich.
Difficile de s’empêcher de voir ces deux frères ennemis comme une métaphore « du déchirement interne du peuple palestinien, avec le Hamas d’un côté et le Fatah de l’autre ». Pour Adel Hakim, « une des caractéristiques de la tragédie grecque est de montrer comment un contexte politique va avoir des incidences au sein d’une même famille. » Créon, roi sévère et intransigeant, rappelant les dirigeants ayant fait les frais du Printemps arabe, ne supporte pas qu’une femme vienne le contredire. Antigone, figure féminine d’insoumission défiant l’autorité méprisante, est montrée dans toute sa « sensualité », insiste le metteur en scène. « Avant son dernier monologue, qui va la conduire à la mort, un texte du chœur absolument fabuleux évoque Éros – le dieu le plus puissant puisqu’il contrôle les passions humaines – et Aphrodite. Cette tragédie politique parle d’un dictateur rigide dépassé par les sentiments humains et une jeunesse qui se révolte. » Un texte de 2 500 ans mais d’une actualité brûlante.
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