Chronique d’une mort annoncée
Le crépuscule des Romanov : tel est le cadre de Mort au Tsar, bande dessinée qui plonge le lecteur dans une Russie prérévolutionnaire.
Après leur fantastique diptyque sur La Mort de Staline, Fabien Nury (scénario) et Thierry Robin (dessins) sont de retour pour un nouvel opus russe en deux parties intitulé Mort au Tsar. Et le duo frappe à nouveau fort avec le premier volume : le lecteur découvre le grand-duc Serge Alexandrovitch, gouverneur de Moscou – et oncle du Tsar Nicolas II – dont la vie et l’assassinat ont inspiré des auteurs comme Leonid Andreïev (Le Gouverneur) ou Albert Camus (Les Justes). Le récit est ici narré du point de vue de la victime : dans le tome suivant la perspective sera inversée puisqu’on on revivra la même histoire, vue cette fois du côté des auteurs de l’attentat. L’homme est énigmatique… Et c’est peu de le dire : pater familias aux apparences rigoureuses, il passe certaines nuits au bordel, à se faire socratiser d’importance par des colosses musclés. Son erreur – enfin la plus rédhibitoire – est de faire tirer le 17 septembre 1904 sur une foule simplement armée de bâtons et de fruits pourris venue manifester. Il laisse nonchalamment tomber son mouchoir depuis le balcon, le signal indiquant au troupes de tirer. Geste assumé ou malencontreuse maladresse ? Le mystère et l’ambivalence – qui vont parfaitement au personnage – demeurent. Il n’en reste pas moins que l’arrêt de mort du grand-duc est signé, tout comme celui du régime dont la chute s’accélèrera l’année suivante, par un autre massacre, celui du 22 janvier 1905, le “dimanche rouge” (auquel on assiste également dans ces pages) qui inspira à Chostakovitch une des ses plus belles pages, sa Symphonie n°11. Cette BD nous amène juste avant le bouillonnement, dans les derniers soubresauts de l’autocratie, alors que la bombe des anarchistes n’est pas loin. On suit un homme qui sait qu’il va mourir… Entre intrigue historique, description d’une société déliquescente et (surtout) plongée au plus profond du caractère d’un homme, le scénario intelligemment construit de Fabien Nury et les dessins oscillant entre baroque et expressionnisme de Thierry Robin frappent à nouveau juste, montrant que de Staline au Tsar il n’y a pas bien loin.