Christiane Jatahy présente Entre chien et loup
Christiane Jatahy catapulte Dogville de Lars von Trier au théâtre. Entre chien et loup explore les rouages des relations de pouvoir entre les êtres aussi bien que le terreau propice à la résurgence fasciste sur les braises du capitalisme.
Déjà venue à Strasbourg avec son projet autour de L’Odyssée (Le Présent qui déborde, en 2019), Christiane Jatahy replace la thématique de l’exil et ses deux amours, que sont cinéma et théâtre, au cœur d’Entre chien et loup. Le cinéma y surgit du théâtre, brouillant un peu plus les relations ambigües entre passé et présent, registres collant traditionnellement au 7e art et au spectacle vivant. Elle reprend la trame de Dogville, réalisé en 2003 par Lars von Trier, dans lequel le Danois se détournait de l’illusion cinématographique en traçant au sol les lieux de son intrigue avec des lignes blanches et en réduisant le décor à quelques meubles, filmant caméra au poing dans une dimension très brechtienne. Rien de bien étonnant pour le radical auteur du manifeste du Dogme95, co-écrit avec Thomas Vinterberg, l’auteur du génial Festen. Une femme en fuite, qui se révèle être la riche fille d’un gangster, se voit recueillie dans une petite ville par une communauté. Mais rien n’est jamais totalement donné, tout est dû. Rapidement, on profite d’elle et l’asservit dans une parabole sociale et morale sur la nature humaine. La metteuse en scène brésilienne part du postulat que les comédiens de sa pièce – et le spectateur – connaissent le film et qu’ils essaieraient d’en changer le cours.
Dans Entre chien et loup, une femme fuit l’extrême-droite gangrénant son pays depuis l’arrivée de Bolsonaro pour un ailleurs plus en accord avec ses valeurs. Elle rencontre un groupe de personnes renvoyant à la situation concrète du spectacle, puisque ce sont des acteurs travaillant à un nouveau projet, dans un théâtre. En mises en abyme successives, ils sont présentés comme des personnages qui viennent de la mémoire de Dogville, tentant par leur art de réinventer le cinéma afin de modifier le cours des choses. Tous parlent ici et maintenant dans un habile télescopage entre fiction et réalité, projection et jeu, la caméra captant au plus près les émotions et les regards, relayés sur grand écran. Ce pas de côté est aussi un moyen de se détourner du caractère archétypal des personnages originaux : le jeune intellectuel sentencieux et activiste, le vieil original aveugle, la mère de famille bien-pensante, la servante noire et sa fille infirme, la dévote… « Ce qui m’importe », explique Christiane Jatahy, « c’est de montrer comment, dans pareille situation – l’accueil d’une étrangère exploitée jusqu’à la violence, le viol, la déshumanisation, avec les excès propres au capitalisme –, chacun est tenté de profiter de l’autre. Avec cette intime conviction que si je donne quelque chose de moi, l’autre a une dette, et doit payer… sinon la dette augmente. Par cette relation d’esprit capitaliste, nous changeons l’autre en objet. »
Au Maillon (Strasbourg) jeudi 4 et vendredi 5 mai, en français et portugais surtitré en français
maillon.eu