Spectacle mythique créé en Avignon en 2004, La Chambre d’Isabella revient pour un dernier round à La Filature. Une plongée orchestrée par Jan Lauwers dans le cerveau d’une femme aveugle, entre secrets et ivresse de vie.
Isabella Morandi a traversé le XXe siècle. À 90 ans, elle passe sa vie en revue dans la solitude de sa chambre parisienne. Le cerveau de cette non-voyante est soumis à une expérimentation scientifique destinée à lui redonner la vue grâce à des projections d’images. Au milieu de dizaines de statuettes et d’objets ethnologiques de son paternel, l’héroïne raconte sans tristesse les horreurs de l’Histoire et de sa trajectoire, multiplication d’errances, de passions avec quelques 74 amants, de mensonges et de séparations. La Chambre d’Isabella repose sur un secret. Elle est physiquement le lieu d’un mensonge ayant dominé toute son existence autant qu’il en fut le refuge. Y trône l’image d’un prince du désert disparu lors d’une expédition : son père, lui ont raconté ses parents adoptifs, Arthur et Anna, dans le phare où ils vivaient. Noyant leur désespoir dans l’alcool, ils disparaissent tragiquement, laissant à Isabella la clé d’un appartement parisien, celle de l’énigme de sa naissance. De souvenirs en chants collectifs, de danses en postures, les thèmes jalonnant les œuvres de Jan Lauwers jouent à cœur qui luttent.
Rompant avec les formes classiques dès la fin des années 1970, le metteur en scène flamand construit un théâtre concret, direct et éminemment visuel, structuré par une musique et un langage performatifs. Cette traversée du siècle, les images qui en surgissent et contaminent les corps, tout provient du cerveau d’Isabella, matérialisé par deux femmes jouant chacune l’un des hémisphères. l’immense comédienne Viviane de Muynck trône au milieu, entourée de tous les morts de sa vie, tous ceux ayant compté. Ses amants Frank et Alexander, fait prisonnier par les Japonais avant d’échapper à Hiroshima et de perdre, irrémédiablement, pied. Son érotisme non feint, la violence des guerres, l’amour de l’art et même cette idylle entamée à 69 ans avec un jeune homme de 16. Tout tient par ivresse de vivre. Il y a un côté Molly Bloom – personnage d’Ulysse de James Joyce – chez elle. Une même acuité de conscience, les yeux clos. Une convocation des mystifications de l’imagination comme réponse à celles de la réalité, une passion indéfectible pour la vie, « seule arme contre la dictature du mensonge ».
À La Filature (Mulhouse), mercredi 30 septembre et jeudi 1er octobre (en français et anglais, surtitré en français, dès 14 ans)
lafilature.org
Molly Bloom, création de Viviane de Muynck et Jan Lauwers à La Filature (Mulhouse), du 4 au 6 novembre (dès 16 ans)