Ceux de 14

À Saint-Dié-des-Vosges, La Nef accueille Front de l’immense Luk Perceval, bouleversante réflexion multifocale et polyphonique à hauteur d’homme sur la boucherie de la Première Guerre mondiale.

Une radicalité inspirée. Cette phrase lapidaire pourrait définir le modus operandi du metteur en scène belge Luk Perceval qui s’est fait connaître, au milieu des années 1990 par Ten Oorlog, épopée de onze heures concentrant l’intégralité des drames historiques de Shakespeare. On se souvient aussi d’une soirée venteuse de l’été 2004, en Avignon où ses acteurs jouaient en plein air, perchés à plusieurs mètres du sol, sur une longue et étroite scène, faisant penser à des gymnastes sur une poutre. Histoire de créer un réel danger, le sol était en outre jonché de tessons de verre dans cette Andromak d’anthologie, ébouriffante adaptation de Racine. Pour Front, Perceval est à nouveau sur le fil du rasoir, se plongeant – c’est la période qui le veut – dans la Première Guerre mondiale. Avec une scénographie sobre rythmée par la musique hallucinée de Ferdinand Försch, entre bruitisme désincarné des combats et humanité des combattants, il entraîne le spectateur au cœur du lacis abject et boueux des abris et des trous d’obus de première ligne.

Pour Luk Perceval, Front est « une polyphonie » au ras de la tranchée jouée en quatre langues (français, allemand, néerlandais et anglais). Les mots s’entremêlent. Ce sont ceux des soldats. Eux qui ne sont plus que de la chair à canon, des Frontschweine selon la belle expression germanique. Ils se nomment Paul Bäumer ou Emiel Seghers, sont troufions ou officiers et tentent de survivre à l’horreur. Leurs paroles sont tirées de deux chefs-d’œuvre de la littérature nés sur les cendres de 14-18, le best seller pacifiste d’Erich Maria Remarque, À l’Ouest, rien de nouveau et Le Feu, bouleversant témoignage de 1916 signé Henri Barbusse (auxquels ont été adjoints quelques documents d’époque). Aucune rémission n’est possible dans ce tourbillon de sombre horreur. Aucune consolation envisageable face aux décombres d’une humanité dévastée par les shrapnels montrée avec une immense sobriété, évitant avec brio l’écueil du pathos. La guerre envahit les esprits. Nue. Glacée. Impitoyable. On en ressort abasourdis, sans mots, encore habités, au plus profond, par ce qu’on vient de se prendre en pleine âme.

À Saint-Dié-des-Vosges, à l’Espace Georges-Sadoul, lundi 10 et mardi 11 novembre

03 29 56 14 09 – www.saint-die.eu

www.lukperceval.info

 

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