Everyday people
Les chorégraphes Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou signent une nouvelle pièce, Ces gens là !, inspirée d’un terreau commun. Brel, des corps exultant de couches de vie, d’images de l’autre et de regards sur soi.
Sur la photo jaunie, les enfants jouent dans le sable au milieu des adultes en bikini et maillot de bain. Chemises ouvertes, bain de soleil sur transats, file d’attente pour prendre une glace dans une cahute en dur. Un été des années 1970 à La Goulette, dans la banlieue nord de la capitale, très prisée par les Tunisois de tous les milieux. Une image arrêtée, figeant le temps, qui inspire la compagnie Chatha. Le duo, installé à Lyon depuis longtemps, est né dans cette Tunisie d’un autre temps. Y a étudié la danse, le cinéma. En 2015, ils rendaient un vibrant hommage au Sacré Printemps de la révolution. Ode au mouvement des corps, à l’entraide et à l’engagement individuel façonnant le collectif. Un spectacle à la dimension plastique forte, marquée par les silhouettes immortalisées par Bilal Berreni* quelques années auparavant.
Depuis, il y eut Narcose, expérience sensorielle marquée par les beats electro d’Haythem Achour, alias OGRA, et un travail sur la persistance rétinienne à grands renforts de rafales lumineuses, troublant ce que l’on croit voir. L’ivresse des profondeurs comme métaphore de la peur de l’autre gangrénant notre quotidien sur fond d’engrenage, en réponse à l’extrémisme ambiant. Voilà qu’aujourd’hui ils s’intéressent « au trajet des personnes et pas à ce qui les réunit », affirme Hafiz Dhaou. À Ces gens là !. « Le public est au centre de notre travail depuis longtemps, pas conceptuellement mais en dialogue avec ce que nous proposons : de l’immersion totale et déboussolante de Narcose à la prise à témoin directe dans Sacré Printemps. » La référence à la chanson de Brel sert de terreau commun. « Il parle d’amour avec brio, décrypte les peurs de la bourgeoisie et une certaine condescendance. Mieux vaut partir d’un cliché que de tomber dedans. »
Ces Gens là !
Aux danseurs qui les accompagnent depuis 15 ans s’ajoutent deux petits nouveaux, issus du Ballet de Lorraine. Il a fallu devenir une famille. Laisser le temps au temps. Les trajets des hommes les habitent depuis un moment. Au Port de Hambourg, ils s’intéressaient déjà aux traces du colonialisme et des migrations forcées, bien avant le chaos actuel des crises migratoires. Les cinq danseurs œuvrent de manière chorale, avec des partitions qui leurs sont propres, apportant son commun à sa manière. L’écriture comme la lumière penche vers leurs premières amours, le cinéma : ses focales, sa manière de dilater et de suspendre le temps, le hors-champ signifiant sans imposer. « Les danseurs doivent y mettre quelque chose d’eux-mêmes, de la sincérité, de l’instinct de survie, être en alerte et prêts à réagir à leur environnement », assure Aïcha M’Barek. Virtualisation, surabondance des échanges sur les réseaux, vitesse augmentant l’éloignement physique… « Il faut que notre danse ait son rythme, des racines fortes pour survivre à tout, notamment au tsunami de la musique d’OGRA ! »
À VIADANSE (Belfort), vendredi 16 novembre
viadanse.com
Au Tarmac (Paris), du 4 au 6 février 2019 dans le cadre du festival Faits d’hiver (14/01- 20/02/2019)
letarmac.fr
faitsdhiver.com
* Lire Hacking the city dans Poly n°210 ou sur poly.fr