Des équilibres infinis
Une immense tournette tombant des cintres avant de se lancer dans une folle rotation. Tel est l’ingrédient phare de Yoann Bourgeois plaçant six personnages au défi de la gravité dans Celui qui tombe.
À l’instar des spectacles d’Aurélien Bory, la scénographie tient une place prépondérante dans le travail de Yoann Bourgeois et ses « tentatives d’approche d’un point de suspension ». Dans Celui qui tombe, l’immense terrain de jeu concocté pour ses interprètes prend les atours d’un plateau carré en bois, suspendu à des câbles, descendant avec majesté sur la scène. Cette tournette craque et bruisse de toutes parts. Sa rotation contraint les corps à lutter contre la force centrifuge et le vertige. Les êtres s’inclinent, courent, s’accrochent, bataillent ensemble contre la vitesse, presque figés dans un mouvement perpétuel, hypnotique. L’impression de ralenti créé par leur apparent immobilisme et le retour sans cesse des mêmes images, comme devant un fond vert au cinéma, trouble nos perceptions. Se tissent une multitude de petites histoires, au gré des inventions de micro-situations et de déplacements défiant la gravité avec malice et créativité. Les péripéties de ce conte à la sauce Bourgeois s’appuient sur des images fortes d’êtres qui se figent tandis que d’autres, grâce à la vitesse des tours, traversent l’espace au milieu d’eux, telle une foule dans une sorte de long plan séquence poétique où l’on surmonterait les embûches qui se dressent devant nous. Entre nous. Parmi nous.
Le spectacle vivant, l’acrobate, acteur, jongleur et danseur – qui dirige le CCN2 à Grenoble au côté de Rachid Ouramdane – est tombé dedans par les jeux de vertige. Il joue à nous étourdir et nous faire peur en poussant dans un total inconfort trois hommes et trois femmes placés sur cette machinerie infernale, précipité de condition humaine fragile et menacée. Entre la Callas et le My Way de Sinatra, ils effectuent tour après tour des révolutions de planètes autour d’astres les attirant irrépressiblement mais aussi des courses effrénées en sautant par-dessus ceux ayant chuté au sol comme autant de corps inertes. Une lutte collective contre ce temps qui passe, ces mains et ses bras qui se cherchent, s’agrippent et se bousculent, ivres de vie et de vitesse. Jusqu’au bout.
À l’Opéra national de Lorraine (Nancy), jeudi 24 et vendredi 25 mai, co-accueil du Ballet de Lorraine et du Théâtre de La Manufacture
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