Caroline Guiela Nguyen crée Lacrima
Créée au TNS avant d’être présentée au festival d’Avignon, Lacrima, la nouvelle épopée de Caroline Guiela Nguyen s’intéresse à la violence touchant les femmes et au secret.
Une dizaine de comédiens amateurs et professionnels, un mélange de langues (français, tamoul, anglais, langue des signes) pour une histoire à tiroirs sur deux continents, autour de la conception d’une robe pour le mariage de la Princesse d’Angleterre. Depuis plusieurs mois, Caroline Guiela Nguyen planche avec toute son équipe sur Lacrima, pièce en cinq parties, pleines de fils narratifs et de fictions réunissant les petites mains de la maison de haute couture française Beliana, de l’atelier de broderie de la Maison Shaina, à Mumbaï, et des dentelières d’Alençon.
Trois lieux de savoir-faire humains d’excellence, ployant à leur manière sous la pression d’injonctions à produire au plus vite une pièce d’exception pour une commande royale dont le prestige impose des conditions drastiques et, bien entendu, non négociables : liste restreinte de personnes autorisées à toucher l’ouvrage, clauses de confidentialité imposant le secret durant 100 ans sur les techniques (points de broderie, formes de dentelles, etc.), types de plis, patrons, coupes, modelages et nuances de couleurs afin de s’assurer que personne ne porte cette robe unique au cours des cinq prochaines générations. Même les archives seront consignées par la couronne. Les lieux sont « sous silence », les salariés tenus « au secret ».
Caroline Guiela Nguyen a « beaucoup plus écrit en amont des répétitions qu’auparavant. J’avais besoin de rencontrer mon écriture plus tôt, même si je la poursuis et l’ajuste au fil des répétitions et des improvisations sur certaines scènes. » Lacrima est un long flashback de huit mois débutant par la fin : Marion, première d’atelier de la maison Beliana, appelle sa mère au milieu de la nuit. Au bord des larmes, elle s’effondre, laissant une lettre d’adieu à sa fille. Le rembobinage qui suit alterne joie et excitation pour un projet hors-norme (surtout les perspectives financières et de renommée qu’il génère), pression maximale au travail pour tenir les délais, et tensions familiales. La scénographie, ouverte et modulable avec tables hautes d’atelier, voilages et portants à vêtements, permet de passer d’une ville à l’autre. Un écran surplombant accueille texte et vidéo, avec de nombreuses caméras miniature sur le plateau et ordinateurs devant lesquels se tiennent des réunions de travail à distance.
Ainsi s’entremêlent trois destins. Marion, étouffant sous la violence psychologique d’un conjoint fou de jalousie, Thérèse, plus ancienne des 8 dernières dentelières d’Alençon au savoir-faire irremplaçable, qui vacille quand elle apprend que sa petite-fille souffre d’une maladie rare tout en refusant de raconter ce dont sa jeune sœur est morte. Et enfin Abdul, brodeur de génie, dont la vue inquiète, à l’instar des dentelières qui devenaient aveugles avant 35 ans. Il n’a pas de nouvelles de sa fille, étudiante musulmane prise dans les soubresauts confessionnels de l’Inde. Autant de fils narratifs qui se réunissent pour « tisser une histoire montrant comment le corps des femmes est pris dans des machines de violences », analyse la metteuse en scène.
Au Théâtre national de Strasbourg du 14 au 18 mai puis au Gymnase du Lycée Albanel (Avignon) du 1er au 11 juillet