Brasil ! Brasil ! emporte le visiteur À l’aube du modernisme

Djanira da Motta e Silva, Três orixás, 1966, Collection de Pinacoteca de São Paulo, acquisition par le Governo do Estado de São Paulo, 1969 © Instituto Pintora Djanira

Au Zentrum Paul Klee, Brasil ! Brasil ! emporte le visiteur À l’aube du modernisme, explorant l’art méconnu d’un pays envoûtant à travers quelque 130 œuvres. 

S’il fallait une date symbolique pour marquer l’irruption de la modernité dans l’art d’un Brésil en plein boom économique au début du XXe siècle, il faudrait retenir 1922. Organisée du 13 au 17 février au théâtre de São Paulo – et financée par le magnat du café Paulo Prado –, la Semana de Arte Moderna est une première tentative de libération des canons esthétiques de l’académisme et des influences politiques coloniales portugaises, manifestant le désir de créer les contours d’un art national. Il s’agit d’absorber et de digérer la culture européenne pour mieux s’en affranchir, comme l’affirmait Oswald de Andrade dans son Manifesto Antropófago publié en 1928.

C’est cette épopée qui est ici narrée avec les œuvres de dix peintres pour épine dorsale, mais aussi de multiples échappées belles dans les champs de la littérature, de la musique, du design et de l’architecture… Les influences des avant-gardes parisiennes sont bien présentes chez certains : le cubisme irradie ainsi dans O pequeno nu (1916) d’Anita Malfatti, membre du Groupe des Cinq aux côtés de Tarsila do Amaral, dont les compositions à l’exotisme onirique, comme O Lago (1928), ont la semblance d’utopies idylliques. Elle retranscrit la réalité populaire brésilienne de manière idéalisée, avec une touche de naïveté, à l’image de Vicente do Rego Monteiro qui s’intéresse aux cultures indigènes, les découvrant dans… les musées, et se servant des motifs des céramiques amazoniennes précolombiennes comme matrice de ses huiles abstraites (Composição indígena, 1922). Il leur emprunte aussi couleurs terreuses et motifs emblématiques, comme celui de la déesse mère (Mulher sentada, 1924). 

 

 

Majoritairement autodidactes, d’autres sont en prise plus directe avec le peuple brésilien, comme Djanira da Motta e Silva : avec ses toiles jugées à tort naïves, elle montre le substrat populaire du pays, entre religiosité catholique et afrobrésilienne (Três orixás, 1966) et scènes de rues (Caboclinhos, 1951). Si la “géométrie spontanée” d’Alfredo Volpi – mâts et pavillons de bateaux ou portes et fenêtres d’immeubles recouvrant l’intégralité de la toile – est séduisante, on reste ébahis par les compositions de Rubem Valentim. Souvent réduit par la critique au statut de magicien de l’art concret, il est sans nul doute le plus bel exemple de ce processus d’anthropophagie appliquée aux canons européens, que nous évoquions. Si l’on peut y sentir la présence de Paul Klee (Sem título, 1962), voire de l’abstraction géométrique rigoureuse d’un Ellsworth Kelly (Composição, 1961), ses huiles sont avant tout des manifestes de la toute puissance afro-brésilienne d’une grande force visuelle, où les sources venues d’outre-Atlantique palissent devant les divinités et autres symboles ancestraux. 

Au Zentrum Paul Klee (Berne) jusqu’au 5 janvier 2025 
zpk.org

> Visite guidée en français (03/11, 15h) 
> Geraldo de Barros, artiste, designer et admirateur de Paul Klee, conversation avec Fabiana de Barros et Michel Favre (26/10, 16h) et table-ronde autour de Blaise Cendrars et Oswald de Andrade : vers un modernisme transatlantique (16/11, 16h) 

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