En 75 tableaux et sculptures, la Fondation Beyeler jette un éclairage sur les périodes bleue et rose dans une exceptionnelle exposition intitulée Le Jeune Picasso.
Après avoir créé l’événement au Musée d’Orsay dans une présentation qui s’est achevée début janvier – 670 000 visiteurs, un record – l’exposition dédiée aux périodes bleue et rose de Picasso s’installe à la Fondation Beyeler. C’est celle de tous les superlatifs : elle représente « plus de quatre milliards de francs suisses de valeur d’assurance », annonce Sam Keller, le directeur de l’institution. Si le corpus d’œuvres est plus réduit qu’à Paris (amputé des dessins et autres documents), il permet en revanche une confrontation d’une force incroyable avec les pièces présentées. Grâce à un éclairage zénithal parfait, elles irradient sur les murs d’un blanc éclatant du bâtiment helvète dans un parcours chronologique allant de 1901 à 1907 et s’achevant par une étude de tête de femme où le cubisme des Demoiselles d’Avignon naît littéralement dans la toile. La visite débute avec des tableaux encore gorgés d’impressionnisme où se déploie une palette chromatique qui pourrait être celle d’un Vincent Van Gogh comme le saisissant autoportrait Yo Picasso (1901) ou La Buveuse d’Absinthe (1901) sur laquelle semble s’être posée la patte de Toulouse-Lautrec. Après le suicide de son ami Carlos Casagemas, Picasso, inconsolable, va représenter un monde qui a perdu ses couleurs, mis à part un anxiogène bleu sourd et sombre. Il se concentre sur des êtres solitaires, en marge de la société : La Miséreuse accroupie (1902), La Buveuse assoupie (1902) ou Le Repas de l’aveugle (1903) sont autant de sujets emplis d’une intense mélancolie, parfois d’un désespoir évoquant Goya.
Il culmine dans l’icône qu’est La Vie (1903) montrant les trois âges de l’existence et les trois types d’amour (maternel, conjugal et sexuel) ou dans une gouache peu connue, Les Deux amies (1904), couple émacié d’une douleur nimbée d’une sensualité que n’égale que l’affliction. Les sculptures qu’il exécute à cette époque – comme le terrifiant Masque d’un chanteur aveugle (1903) – annoncent la déformation et la déconstruction des corps qui interviendra quelques années plus tard. En 1905, Picasso passe au rose, un rose tout sauf brillant et heureux. Dans des compositions mates et tristes, il saisit jongleurs ou acrobates dans leur quotidien, hors de la scène où ils étaient généralement rendus, comme le très pensif Arlequin assis au fond rouge (1905) et l’inquiétant couple Bouffon et jeune acrobate (1905), magistrale composition sur papier. Au fil des salles, il est possible de mieux comprendre la jeunesse d’un homme et la génèse d’un créateur qui écrivit : « J’ai voulu être peintre et je suis devenu Picasso. »
À la Fondation Beyeler
(Riehen / Bâle), jusqu’au 26 mai
fondationbeyeler.ch
Dans les autres salles de la Fondation sont montrées 40 œuvres illustrant la trajectoire de l’artiste de 1907 à 1972, un gigantesque Picasso Panorama (jusqu’au 05/05)