Avec le (kazakhs)temps
Strasbourg, projet e.cité épisode 6. Destination Almaty pour une plongée dans l’Art contemporain du Kazakhstan en forme de réflexion sur le temps qui passe : des traditions séculaires à la société de consommation, en passant par l’URSS.
Istanbul, Bucarest, Budapest, Gdansk, Réthymnon… Depuis 2008, Apollonia invite à la découverte de continents artistiques qui sont autant de terrae incognitae. Cette année, direction Almaty, Kazakhstan, un « centre énigmatique qui fait rêver, un autre univers » pour Dimitri Konstantinidis, directeur de l’association qui invite à parcourir ce pays grand comme cinq fois la France (mais trois fois moins peuplé), le plus souvent réduit à ses fondamentaux : le cosmodrome de Baïkonour, les échos des steppes de l’Asie centrale version Borodine, le pouvoir sans partage de Noursoultan Nazarbayev, une équipe participant au Tour de France portant le nom de la capitale, Astana… Exit les clichés. Se découvre « une scène artistique bouillonnante, se déployant en dehors des écoles d’Art et des institutions officielles où l’académisme domine encore ».
Héritage soviétique Première étape de cette déambulation : le MAMCS avec La Vie est une légende, exposition au commissariat tricéphale (Estelle Pietrzyk, directrice du MAMCS, Daria Evdokimova, chargée de projets artistiques à Apollonia et Dimitri Konstantinidis, directeur de l’association) montrant les créations de dix-sept artistes contemporains kazakhs avec, comme double fil directeur, l’histoire mouvementée du pays et ses traditions ancestrales qui se rencontrent parfois comme dans les œuvres de Yerbossyn Meldibekov. Il détourne les canons des Arts décoratifs folkloriques, imaginant d’étranges assiettes, entre faïence traditionnelle et motifs foutraques rappelant l’absurde de Plonk & Replonk : chameaux portant une rampe de missiles sol-air, yacks devenus orgues de Staline… On peut dresser un parallèle avec les tapis afghans aux motifs de Kalachnikov. Dans une autre série, il déforme des bustes de Lénine produits en masse qui subissent d’étranges mutations, se métamorphosant en Gengis Kahn et Patrice Lumumba ou devenant de véritables freaks. On ne se débarrasse pas si facilement de l’URSS… même si elle semble disparaître dans ses Albums de famille où deux photos se font face. À gauche, un noir et blanc seventies bien léché présente deux femmes vêtues de noir posant aux pieds d’une statue de Lénine – encore – située devant un palais néoclassique blanc. À droite, les deux mêmes, aujourd’hui : la photo est en couleur, elles ont vieilli, ont un look chamarré tendance kitsch, comme la façade du palais devenue rose, bleue, verte et rouge. Vladimir Ilitch a été remplacé par un personnage à cheval… Une réflexion sur le temps et le progrès (tout relatif) que n’aurait pas reniée Sophie Calle. Plus connue, Almagul Menlibayeva réalise des images, photos ou vidéos ultra esthétiques : dans une ambiance évoquant une Route de la Soie idéalisée évoluent des créatures très couture… Sous le glamour se cache néanmoins une réflexion d’essence politique sur la place de la femme ou l’écologie.
Hier, aujourd’hui, demain Pour leur part, le couple formé par Viktor et Elena Vorobyev a travaillé sur le thème du Bazar. Un projet ethnographico-politique qui prend la forme d’une imposante installation au contenu évolutif. Le visiteur marche au cœur d’un gigantesque vide grenier de misère : au moment du passage de l’économie socialiste planifiée à un certain consumérisme, beaucoup vendaient leurs maigres biens sur les trottoirs pour survivre. Toujours le même triptyque : la photo du stand, un objet acheté par les artistes et quelques phrases saisies au vol lors de la transaction. S’ébauchent alors les contours d’une identité en devenir se manifestant dans les œuvres multiformes (installation, vidéo, photographie) de Syrlybek Bekbotayev présentées à Stimultania sous l’intitulé Des Années de silence : des images dézinguées – comme des fichiers informatiques corrompus – de certains membres de l’intelligentsia kazakh du début du XXe siècle, passés à la moulinette uniformisatrice et destructrice de la Révolution de 1917 côtoient les photographies de La Musique de la steppe évoquant le temps figé et serein des traditions millénaires. Une autre série, Big information, reprend le logo de la BBC avec un C inversé devenu croissant : une critique de la chape de plomb qui pèse sur une Asie centrale où tout reste à inventer.
Des Années de silence, à Strasbourg, à Stimultania, jusqu’au 29 mars 03 88 23 63 11 – www.stimultania.org Travaux d’Alexander Ugay réalisés lors de sa résidence, à Strasbourg, à l’Espace Apollonia, du 15 mars au 15 avril 09 53 40 37 34 – www.apollonia-art-exchanges.com