Autonomie, fac off
L’Université de Strasbourg a cru à l’autonomie promulguée par la Loi LRU et à ses promesses de développement. Mais cinq ans après la fusion, le constat est amer et un plan drastique d’économies est mis en place.
Première université à fusionner, et dans la première vague des établissements autonomes en 2009, Strasbourg doit aujourd’hui supprimer des heures de cours, geler des postes et trouver de nouvelles recettes. Comment en est-on arrivé là ? D’abord, l’État a laissé les universités se débrouiller seules pour soudainement gérer d’imposantes masses salariales et les budgets de leurs facultés et composantes. Moins d’une dizaine d’établissements sont parvenus à mettre en place une comptabilité analytique. À Strasbourg, le processus est en cours, mais il n’y a pas eu besoin d’une analyse poussée pour que s’amorce, dès 2011, un plan drastique d’économies. La première alerte est venue du fonds de roulement, un compte sur lequel l’Université doit légalement garder l’équivalent d’un mois de fonctionnement (28 millions d’euros environ). Fin 2012, il est descendu à 26,8 millions, plaçant l’UdS à la limite de sa mise sous tutelle par le rectorat. L’objectif du président Alain Beretz, réélu en novembre 2012, est donc de tout faire désormais pour l’éviter : « Notre situation est tendue mais saine. Nous sommes dans l’obligation de présenter des comptes équilibrés. Nous avons engagé des efforts de réduction de coûts, sans baisser la qualité de l’offre pluridisciplinaire qui nous caractérise. Aucun diplôme n’a été supprimé. »
Économies à tous les étages Ces efforts ont commencé en 2011, avec un objectif de réduction de 8% des heures d’enseignements (80 000 heures au total). En 2011 / 2012, l’Université est finalement parvenue à supprimer 18 000 heures, puis 22 000 l’année suivante. Travaux dirigés annulés, cours resserrés, mise en commun d’enseignements à plusieurs filières : tous les moyens sont bons. En Droit, une semaine entière de cours est ainsi passée à la trappe en première année. En Psycho, les cours de méthodologie universitaire se sont évaporés. Autre mesure d’économie, les fonds alloués au conseil scientifique, le cœur de la recherche universitaire, ont été diminués de 20%. Et une vingtaine de postes d’enseignants, le double selon les syndicats, sont gelés, c’est à dire non-pourvus, seuls les CDD « sur des missions pérennes » (sic) sont reconduits… Dans certaines filières, ces réductions de personnel ont poussé les équipes à bout d’autant que l’université leur demande aussi de répondre aux appels d’offres de l’Agence nationale de recherche (ANR) et de publier des résultats. Beaucoup de directeurs de labos passent ainsi leur temps à rédiger les dossiers qui leur permettront de fonctionner l’an prochain. Le résultat ? Les cas de souffrance au travail se multiplient parmi les enseignants. Pour Pascal Maillard, professeur élu au conseil d’administration de l’UdS et représentant syndical du Snesup, une conjonction de facteurs ont provoqué cette situation : « C’est vrai qu’il manque à la dotation annuelle environ 10 millions pour fonctionner correctement. Mais l’équipe dirigeante a ses torts aussi. Avec la fusion, Alain Beretz a cru pouvoir faire des économies et que l’argent du plan campus allait couler à flot. Mais la fusion a plutôt apporté des lourdeurs ! Au final, on se retrouve avec des “filières d’excellence” (Santé, Biologie, Chimie) préservées et toutes les autres sacrifiées, particulièrement les Sciences humaines. »
À qui la faute ? Alain Beretz confirme qu’il manque des moyens, mais réfute l’inégalité de traitement entre les filières : « L’État sous-estime le coût de fonctionnement de l’Université. Il y a sans doute un rééquilibrage à faire entre les financements pérennes et les financements contractuels. Ceci dit, l’UdS a obtenu 22 lauréats aux concours du Conseil européen de la recherche, soit le double des autres universités. Quant aux Sciences humaines, elles bénéficient du soutien de l’Université comme les autres et notamment de l’augmentation de 30 à 40% de leur budget de recherche. » Pourtant, l’Université de Strasbourg est une des mieux dotée de France, lauréate d’appels d’offres “Initiatives d’excellence” (IdEx) en 2011 ce qui permet d’obtenir des fonds issus du Grand emprunt, elle peut compter sur environ 27 millions par an de recettes supplémentaires, pour un budget d’environ 450 millions… L’apprentissage de l’autonomie passe par le développement de ressources propres. Formation continue, contrats de recherches auprès des entreprises et par la Fondation de l’UdS qui a réussi à collecter 15,5 millions en quatre ans, une performance pour une université… mais insuffisante pour combler les manques.
Au final, rien ne vient compenser la hausse mécanique de la masse salariale. Pour Alain Beretz, la solution vers plus d’autonomie passerait vers un contrôle a posteriori des financements : « Je n’ai pas besoin qu’on me dise depuis Paris comment dépenser l’argent public. L’État devrait nous faire confiance, verser l’argent et contrôler ensuite comment il a été utilisé, plutôt que de demander à tout le monde de monter des dossiers interminables. » Mais on en est loin : selon l’Association européenne des universités, les établissements français sont classés 29e sur le critère de l’autonomie académique. Sur 29…