Au sommet du Mont Vérité
Pascal Rambert et Rachid Ouramdane s’inspirent d’une communauté artistique helvète des années 1900 pour imaginer Mont Vérité, une réflexion sur l’utopie d’aujourd’hui.
Sur les hauteurs d’Ascona, en Suisse, au bord du lac Majeur. Un groupe d’acteurs se retrouvent pour créer, danser et vivre en communion avec la nature. Loin du tumulte citadin, ils profitent de cette parenthèse pour questionner la notion d’utopie à notre époque. C’est pour les comédiens du Groupe 44 de l’École du TNS, diplômés en juin 2019, que Pascal Rambert a imaginé Mont Vérité. La pièce s’inspire librement du Monte Verità, communauté installée au début du XXe siècle dans ce même village tessinois. Dans le sillage du mouvement germanique de la Lebensreform (la « réforme de la vie »), la colonie, écologiste avant l’heure, rejette la société de consommation. Elle devient un haut lieu de rencontre pour artistes et intellectuels. L’auteur s’est affranchi de cet historique pour mieux laisser parler ses interprètes. Fidèle à son approche de l’écriture théâtrale, le prolifique metteur en scène a créé un spectacle sur mesure pour ces jeunes comédiens alors à un moment charnière de leur vie, au début de l’âge adulte. Il a puisé jusque dans leurs rêves pour créer ses personnages, des acteurs en quête d’une société idéale. « À vingt ans, on jouit d’une certaine insouciance, les attentes de la société ne pèsent pas encore sur nous. C’est un moment riche de réflexions sur notre rapport au monde », explique-t-il. De nombreux monologues laissent la parole à cette génération rêveuse mais ambitieuse. « C’est ça, ce que je veux faire de ma vie : dire des textes lorsque la nuit tombe […]. Donc je retourne dans cet endroit de vérité, cet endroit plus profond que la nuit qu’est l’enfance », assure Claire, interprétée par Claire Toubin. Une bulle existentielle, comme un écho à celle dans laquelle ont vécu ceux du Monte Verità.
D’illustres figures de la danse moderne comme Isadora Duncan ou Rudolf Laban se sont croisées à Ascona. Un héritage esthétique dont les motifs infusent la chorégraphie de Rachid Ouramdane, sans jamais s’imposer comme des références absolues. Le chorégraphe s’est également adapté aux comédiens du TNS, non professionnels de sa discipline. « J’ai simplement travaillé à partir de qui ils sont », résume-t-il. « Tout corps a une expressivité. » Aussi présente que le récit littéraire, la danse ponctue les différentes séquences, soulignant les passages entre des mondes concrets et abstraits. Concret, abstrait, réel, fictif, au sommet du Mont Vérité, tout semble se confondre. La guerre de 1914-1918 a sonné le glas de l’utopie tessinoise. Un siècle plus tard, la bulle strasbourgeoise éclatait sous la pression de la pandémie. Programmée à l’origine au printemps 2020, la pièce n’a jamais pu voir le jour. Après deux ans d’attente, ils arpenteront à nouveau la colline… Avant de tourner définitivement la page.
Au Théâtre national de Strasbourg (TNS) du 17 au 25 mai
tns.fr