Mix entre le festival Extra Pôle et les Urban Scénos1 du collectif ScU2, EXTRA ORDINAIRE réunit 10 artistes en immersion dans les quartiers strasbourgeois de la Meinau et du Neuhof. Au programme, performances et fictions ordinaires.
Au moins deux ans de travail commun entre les équipes de Pôle Sud et le collectif ScU2 animé par François Duconseille et Jean-Christophe Lanquetin (enseignants à la Hear) auront été nécessaires pour donner vie à ce rendez-vous à nul autre pareil. Aux premières discussions se sont joints la Haute École des Arts du Rhin et l’Espace Django, partenaires essentiels pour impliquer une trentaine d’étudiants et tisser des liens avec les associations des quartiers dans lesquels les dix artistes retenus seront en immersion, plusieurs semaines durant. Pour Joëlle Smadja, directrice de Pôle Sud, « EXTRA ORDINAIRE est l’aboutissement de nombreuses tentatives pour s’ouvrir sur les habitants du quartier dans lequel nous sommes implantés depuis près de 30 ans. Nous avions imaginé le festival Extra Pôle, avec ses spectacles donnés gratuitement dans l’espace public, pour recréer un lien de culture exigeant avec le grand public en allant au-devant de lui, hors de nos salles. Là nous plongeons des artistes internationaux et locaux au coeur des problématiques sociales et concrètes de la vie, dans deux quartiers aux différences profondes. » Pas question ici d’apporter des oeuvres extérieures plaquées pour l’événement, mais « de produire de manière horizontale au plus près des habitants, avec eux ou à partir d’eux, en défaisant les cases et en inventant des tactiques de production nouvelles et partagées », ajoute Jean- Christophe Lanquetin.
In situ
De la place de l’Île de France (Meinau, 13/06) au parc Schulmeister (15/06), en passant par divers lieux du quartier du Neuhof (14/06), un parcours immersif étonnant attend les curieux, les amateurs comme les badauds. La danoise Nina Støttrup Larsen produit un journal avec les habitants qui sera diffusé sur les marchés du jeudi. Les étudiants de la Hear réalisent des charrettes pour disséminer potins et petites annonces nourrissant cette édition éphémère pas comme les autres. La chorégraphe Fanny de Chaillé, dont on a pu voir Les Grands cette saison à Pôle Sud, crée La Bibliothèque humaine dans laquelle une quinzaine de personnes racontent une partie de leur histoire singulière. Au sein de la Médiathèque de la Meinau, ces individus revêtus de “t-shirt titre” forment des livres-vivants à consulter par la parole dans l’intimité d’un face-à-face. Autre inspiration de rencontres, Andréya Ouamba compose un labyrinthe dans les jardins de Pôle Sud où il invite boxeurs, dessinateurs, musiciens ou comédiens méconnus habitant alentour à fabriquer des rencontres qu’il chorégraphie. Le Temps de l’artiste ! amorce des gestes dans une tentative de renouer des liens avec une pratique qui n’a pu éclore et qui forme aujourd’hui une histoire contrariée. De rencontres il est encore question avec le sud-africain Boyzie Cekwana qui mélange artistes et communauté du voyage pour un échange mêlant cultures et modes de vie, notamment autour du flamenco (square Ariane Icare, 14/06 à 19h).
Strasbourg to Strasbourg
Parmi les figures locales de la création, l’artiste sonore Gaëtan Gromer, fondateur des Ensembles 2.2, revient dans les immeubles ayant bercé son enfance pour les faire littéralement chanter (29 allée Reuss, 14/06 à 20h). Le dispositif qu’il a confectionné s’écoute depuis une application avec son smartphone : s’y déploient témoignages et chants d’habitants. L’espace public se redécouvre par des compositions propres à chaque bâtiment qui s’agencent et se mêlent instantanément à mesure de nos déplacements. François Duconseille s’est lui concentré sur la tour du 8 rue Ingold. 42 appartements, des gens de 10 à 80 ans, certains y habitant depuis quatre décennies, mais aussi des réfugiés politiques afghans, ivoiriens… Autant de rencontres propres à constituer le livre de cet immeuble à l’arrière duquel il projettera (14/06, à 22h15) et mettra en jeu de pages et de photos autour de problématiques (bruit, musique, vivre ensemble…) et de particularités (linguistiques et historiques) propres. Encore plus intime sera la procession collective autour du deuil menée par Androa Mindre Kolo2. Fidèle au premier vers d’un poème d’Aimé Césaire « J’habite une blessure sacrée », ce Congolais installé à Strasbourg depuis ses études à la Hear revient sur la mort de son père. « Je suis le fruit de la mort, mais aussi une renaissance, une résurrection », confie celui qui construit une remorque en forme de cercueil-buffet qu’il déplacera avec des habitants de la Meinau depuis le jardin de Pôle Sud. Bras-dessus, bras-dessous, ils feront le tour du quartier avant de se lancer dans des actes performatifs sur la place, rendant « la douleur positive par l’hommage et la fête dans un mélange de vécus et de rites de tous les participants, vêtus d’une tenue de deuil actualisée ». Peut-être le cercueil dansera-t-il comme dans les cérémonies de Kinshasa, et que chacun pourra essuyer ses larmes. Enfin, Jean-Christophe Lanquetin imagine une marche performative dans les rues de la Meinau se terminant au parc Schulmeister (15/06, 11h) avec les employés de Meinau Services. Ces derniers collectent les ordures, souvent jetées par les fenêtres des tours. Accompagnés d’une fanfare, leur déambulation avec des déchets amplifiés et “sculpturisés” interroge de manière ludique leur rôle de lien social et le regard qu’ils portent sur leur environnement immédiat.
Dans l’Espace public des quartiers de la Meinau et du Neuhof, ainsi qu’à Pôle Sud (Strasbourg), du 13 au 15 juin
1 Voir Dark Zone dans Poly n°132, Belleville / Johannesburg 2.0 dans Poly n°154 et Urban intrusion autour de Ville[s] en-jeu[x], dans Poly n°161
2 Lire Cosmos kinois dans Poly n°220