Art régénérant
Au Kunstmuseum Basel, une cinquantaine d’œuvres d’Otto Freundlich (1878-1943) permettent de découvrir le Communisme cosmique d’un artiste qui fut victime de la barbarie nazie.
Une sculpture de 1912 est l’œuvre la plus célèbre d’Otto Freundlich, une tête où se mêlent l’expressionnisme de Kirchner et les Tikis des îles Marquises. Aujourd’hui disparue, elle figure en couverture de l’opuscule servant de guide à l’exposition Entartete Kunst de Munich en 1937 qui tourna ensuite dans tout le Reich. Pour les nazis, elle est le repoussoir absolu, le symbole d’une création judéo-bolchévique et le contraire des héros hiératiques de Breker ou Thorak. Mais derrière cette icône paradoxale, l’œuvre de l’artiste qui disparut dans l’enfer de Sobibór – dénoncé par des voisins du village pyrénéen où il se cachait – demeure méconnue. Cette exposition jette un salutaire coup de projecteur sur un franc-tireur proche de nombre de ses pairs (Picasso, Braque, Dix, Brancusi, etc.) qui fut aux confluences des grands “-ismes” esthétiques du XXe siècle sans jamais s’y engager : expressionisme, fauvisme, cubisme, orphisme, dadaïsme…
Tenant d’un communisme cosmique, Otto Freundlich réalise des compositions abstraites et méditatives comme Mon Ciel est rouge (1933), où éclate un champ vermillon, drapeau soviétique flottant au vent, dans un ordonnancement de cellules chromatiques bleues, grises, noires ou blanches évoquant un vitrail, une discipline où excella celui qui avait travaillé sur le chantier de la Cathédrale de Chartes en 1914. Face à elle, le visiteur se sent à la fois happé par un irrésistible mouvement d’essence politique et plongé dans un bain métaphysique apaisant. Souhaitant transcrire la conscience de l’univers dans ses œuvres, cet utopiste laisse des toiles irriguées par une tension entre rigueur de la construction et volonté de déconstruction pleine de couleurs vives rappelant Robert Delaunay dans leur orgie géométrique. Ses sculptures, comme la monumentale Ascension (1929), sont des agrégats de formes épaisses faisant penser à la complexion d’un corps humain irrémédiablement lié aux puissances chtoniennes. Installées au milieu des peintures, des vitraux ou des mosaïques aux teintes vives, elles sont leur pendant sombre, comme si la terre et le cosmos se rejoignaient dans une création baignée par une intense spiritualité.