Arnaud Meunier porte Tout mon amour à la scène
Affaire de famille signée Laurent Mauvignier, portée à la scène par Arnaud Meunier, Tout mon amour conte le retour fracassant d’une fille, dix ans après sa disparition à l’âge de six ans.
Bien avant le saisissant Histoires de la nuit (Minuit, 2020), le romancier Laurent Mauvignier publiait la pièce de théâtre Tout mon amour. Une sorte de polar métaphysique dans lequel un couple (Le Père et La Mère) revient dans la maison paternelle à la suite du décès du grand-père. Un retour “forcé” dans ce lieu près du bois où avait disparu, il y a dix ans, leur fille de six ans, sans qu’on en trouve, depuis, la moindre trace. Mais voilà qu’en ce jour de deuil, une mystérieuse adolescente de 16 ans frappe à la porte, prétendant être Elsa. L’auteur propose un condensé de thématiques qui jalonnent, depuis, son oeuvre centrée sur la complexité des rapports familiaux, les fantômes et le passé qui ne passe pas. Si la Mère s’arc-boute contre ce retour, s’obstinant dans son refus d’y croire, son mari vacille, au point de demander au Fils de les aider à trancher. Écrit en séquences parsemées d’ellipses, le texte « nous fait vivre au plus près la difficulté de chaque personnage d’avoir pu continuer après un tel traumatisme », confie Arnaud Meunier qui a choisi pour duo de parents les excellents Philippe Torreton et Anne Brochet. Et le metteur en scène de poursuivre : « Les dialogues au scalpel, la partition où chaque souffle, chaque émotion semble être vibrante dès la lecture, offrent aux acteurs et actrices une palette puissante pour l’interprétation. » Chaque personnage de ce huis clos vertigineux s’y révèle incroyablement seul face au poids des années, à celui de l’absence, du doute et de la résignation dévorante.
Derrière la simplicité de la situation, Mauvignier distille son lot d’ambiguïtés, à l’image du fantôme provoquant du Grand-Père venant tourmenter les vivants. Est-il possible de dépasser la douleur ? Mais aussi de vivre au milieu des non-dits familiaux ? L’auteur se plaît à esquisser ce qui doit guider son passage à la scène : « Silences, dénis, non-dits, souffles entre les corps. Le spectateur participe de ces frottements, il doit sentir la proximité des acteurs, être l’un d’eux. Pour autant la scène est frontale : on commence dans la sécurité d’une forme convenue. Le mystère, la folie, la violence, l’irréalité surgissent, envahissent, gangrènent le monde connu par les récits qui minent la temporalité, par le jeu des acteurs et, surtout, par la lumière, qui doit être très travaillée, très insidieuse. Elle doit conduire à la brume et à la nuit des êtres, révéler un monde inconscient de peurs, de fantômes, d’interdits. Les gestes des uns et des autres sont tout en retenue : comme les paroles, le personnage les cherche, les esquisse, ne les trouve pas toujours, pas tout de suite – ou alors il les regrette, les réprime, voudrait les annuler. Il les minimise. » Le décor réaliste d’un intérieur aux parois translucides à l’envi n’empêche aucune lecture psychologique de la pièce dont les nœuds familiaux, antérieurs au drame qui s’y joue, influent sur la psyché abîmée d’un couple tentant de conserver la tête hors de l’eau.
Au Théâtre national de Strasbourg du 11 au 15 avril et au Grand Théâtre de Luxembourg mercredi 19 et jeudi 20 avril
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