À Nancy, Mikaël Serre monte Ariane et Barbe-Bleue, installant l’opéra de Paul Dukas dans la contemporanéité, entre effets du confinement et syndrome de Stockholm.
De Paul Dukas (1865-1935), le grand public connaît souvent uniquement L’Apprenti sorcier grâce à l’utilisation qu’en fit Walt Disney dans Fantasia. Le reste de son œuvre est un continent qu’il convient de (re)découvrir, à l’image d’Ariane et Barbe-Bleue, sans doute le seul véritable exemple de wagnérisme à la française. Dans cet opéra où Perrault rencontre la mythologie grecque, Ariane, la sixième femme de l’ogre, rend la liberté aux cinq premières, emprisonnées dans de sombres geôles alors que tous les croyaient mortes. Elles préfèrent cependant demeurer captives. Si toutes portent des noms venus de pièces antérieures de Maurice Maeterlinck1, auteur du livret, Mikaël Serre (en photo) propose dans sa mise en scène un « voyage dans le temps, à travers différentes figures de femmes qui ont marqué l’Histoire – de la Vénus de Willendorf à Rosa Luxembourg. Nous racontons une histoire de la libération et de l’émancipation », résume-t-il2, dont Ariane, véritable super-héroïne, pourrait être le porte-drapeau.
À côté de cela, se déploie une réflexion sur la servitude volontaire, puisque l’œuvre est sous-titrée La Délivrance inutile, le compositeur écrivant même à son propos : « Personne ne veut être délivré. La délivrance coûte cher parce qu’elle est l’inconnu et que l’homme (et la femme) préférera toujours un esclavage familier à cette incertitude redoutable qui fait tout le poids du fardeau de la liberté. Et puis, la vérité est qu’on ne peut délivrer personne : il vaut mieux se délivrer soi-même. Non seulement cela vaut mieux, mais il n’y a que cela de possible. » Des propos éminemment actuels à une période où des puissances obscures inconscientes nous font préférer la mollesse du confort de la maison à l’ivresse du dehors. Et Mikaël Serre de répondre au musicien par-delà les années : « Nos corps confinés ont été marqués durablement, à tel point qu’aujourd’hui que nous avons retrouvé une certaine forme de liberté, nombreux sont ceux qui continuent à agir selon les réflexes acquis durant cette période : en sortant moins, en désertant les salles de spectacle et de cinéma, en télétravaillant, quitte à fragiliser la frontière entre le travail et la vie privée. » Dans la création de l’iconoclaste auteur d’Offenbach Report3, la vidéo est au cœur du propos : « Sur scène, un fond vert nous permet de métamorphoser l’espace en temps réel. Le plateau devient le lieu où se rencontrent et se confrontent les imaginaires. En 2012, l’autrice canadienne Anne Carson a signé Antigonick, d’après l’Antigone de Sophocle. Quand je songe au symbolisme de Maeterlinck, me reviennent ces mots de la pièce : “Ce n’est pas qu’on veuille tout comprendre ou même comprendre quelque chose, nous voulons comprendre autre chose”, affirme-t-il.
À l’Opéra national de Lorraine (Nancy) du 28 janvier au 3 février
opera-national-lorraine.fr
1 Mélisande (Pelléas et Mélisande), Alladine (Alladine et Palomides), Ygraine et Bellangère (La Mort de Tintagiles) et Sélysette (Aglavaine et Sélysette)
2 Tiré d’un entretien avec Simon Hatab pour l’Opéra national de Lorraine
3 N’ayant pu être donné au Théâtre de la Manufacture en décembre 2020, le spectacle, première coproduction entre les maisons d’opéra du Grand Est (Nancy, Metz, Reims et Strasbourg), a été transformé en film.