Architectures impossibles à Nancy

Architectures impossibles : Étienne Louis Boullée, Coupe du Cénotaphe, projet n°15, planche n°14, autour de 1780 © Paris, Bibliothèque nationale de France

Passionnante exposition nancéienne, Architectures impossibles réunit plus de 150 œuvres, histoire d’explorer comment les artistes jouent avec les normes strictes présidant à cet art.

Si le titre de l’exposition peut avoir la semblance d’un oxymore, sa construction rigoureuse en cinq sections (respectivement nommées Caprice, Démesure, Égarement, Menace et Perte) est d’une implacable logique montrant « comment les artistes, de la Renaissance à nos jours, ont procédé pour faire “déraisonner” l’architecture », résume sa commissaire Sophie Laroche. Faisant de multiples grands écarts temporels, elle s’ouvre par un dialogue entre Suppo (Karmanyaka) – flèche de cathédrale gothique subissant torsion et étirement – réalisé par Wim Delvoye en 2012 et une Vierge à l’enfant du début du XVIe siècle peinte d’après Gossaert, posée dans un décor exubérant. Dans les deux cas, les normes traditionnelles de l’architecture volent en éclats, la réalité étant mise de côté comme dans les amoncellements de Piranèse évoquant une antiquité romaine fantasmée. Suivent des édifices colossaux placés sous le signe de la Tour de Babel, délires mégalomaniaques culminant dans les plans de Germania, capitale ubuesque du “Reich de mille ans” imaginée par Albert Speer, qui ne fut jamais réalisée (un des points communs aux édifices ici montrés). Il en va de même dans la troisième section explorant des « architectures de l’errance », dont le motif emblématique est le labyrinthe, avec notamment les œuvres d’Erik Desmazières, qui exercent une puissante fascination, tout comme les perspectives subverties de Maurits Cornelis Escher.

Désorienté, le visiteur aborde la quatrième section placée sous le signe de la Menace, où l’accueillent des encres signées Victor Hugo, forteresses anxiogènes, ou une gravure de Max Klinger d’après l’icône peinte (cinq fois) par Arnold Böcklin, L’Île des Morts. Plus qu’un paysage d’Écosse peint par Gustave Doré, c’est une toile de Carl Friedrich Lessing qui nous happe : ce château hanté – est-il habité ou abandonné ? – posé dans une gorge inaccessible suscite un réel effroi. Icône du “romantisme noir”, ce tableau transporte le visiteur entre cauchemar et réalité. Il entre en résonance de curieuse manière avec des compositions de Paul Delvaux ou Max Ernst et des photographies de Nicolas Moulin : deux clichés bleutés de la série Novomond restituent une cité déserte, totalitaire et glacée, entre Big Brother et Philip K. Dick. La déambulation s’achève assez logiquement par une réflexion sur les ruines – avec notamment une géniale vidéo de Kader Attia intitulée Oil and Sugar – étant bien entendu que la dernière pièce exposée, signée Hans Hollein, est un salutaire pied de nez à l’esprit de sérieux qui irrigue bien (trop) souvent le travail des architectes.


Au Musée des Beaux-Arts de Nancy jusqu’au 19 mars
musee-des-beaux-arts.nancy.fr

> En écho à l’exposition sont présentées les œuvres de trois artistes contemporains : Laurent Gapaillard et Christian Globensky (dans le musée), mais aussi Alex Chinneck pour un Parcours urbain dans le cadre d’ADN (Art dans Nancy).

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