Coopérative de production et de création bruxello-lilloise, L’Amicale se voit offrir un “paysage” de 10 jours par Le Maillon. Rencontre avec l’un de ses fondateurs, metteurs en scène et comédiens actifs, Antoine Defoort.
Cinq spectacles, une installation, une conférence, un atelier, une soirée musicale… en dix jours, dans le même théâtre à Strasbourg ! Que génère dans l’équipe de L’Amicale cette incroyable proposition ?
On se réjouit, c’est dingue ! Surtout, cela fait véritablement sens avec la manière que nous avons dans la coopérative de créer des liens, de s’entraider dans les projets respectifs des sept artistes associés et de tisser des relations affectives avec ceux qui les portent, en production notamment. Jusqu’ici nous n’avions présenté, au mieux, que deux spectacles en parallèle dans un même lieu. Là, se dessinera un tableau, un paysage – le nom choisi par Le Maillon est magnifique – et nous allons bien rigoler, ce qui est essentiel.
Comment avez-vous composé avec Barbara Engelhardt, directrice du Maillon, ce mélange de pièces nouvelles et d’autres “collectors” ?
Dans le dialogue, en passant en revue ce qu’on avait en magasin [Rires]. Nous avons le chic – par goût et éthique de travail – de toujours faire évoluer nos projets. Le Tiret du six et Ami·e·s il faut faire une pause ont ainsi déjà connu des formes très variées depuis leur création. Ami·e·s se déroulait en trois conférences tenues par Julien Fournet alors que c’est, aujourd’hui, une proposition participative de colo de vacances du spectacle vivant, interprétée par Jean Le Peltier ! Les deux nouvelles itérations de cette pièce se sont sédimentées dans une nouvelle forme, bien plus chouette. Nous avons planché avec Barbara sur une idée de thématique, ce qui nous a posé la question de la ligne esthétique de L’Amicale, sujet que nous avons bien longtemps choisi de laisser de côté. Plutôt qu’une ligne, ce serait une sorte de nuage de tags qui nous réunit, composé d’intérêts formels et de sujets sérieux portés avec humour. Les formats et les rapports induits au public sont importants : ils vont de la performance se déroulant à travers la manipulation par chacun d’un ordinateur (Le Tiret du six), à la création de deux cohortes de spectateurs / auditeurs radio (On traversera le pont une fois rendu·e·s à la rivière), créant une expérience complémentaire où chacune imagine l’expérience de l’autre. Il y a aussi une performance de philosophie stoïcienne dans une piscine de balles noires (Les Thermes). La liturgie spectaculaire qui se dessine bouscule les codes habituels de représentation, à laquelle on ajoute autant de “ou pas” que désiré : le public vient… ou pas, il participe… ou pas, il regarde… ou pas.
Parmi les méthodes que vous affectionnez dans la genèse de vos pièces, il y a celle de l’itération*…
C’est un des innombrables outils dont nous nous saisissons. Nous empruntons ce cadre méthodologique au monde du développement web. L’itération y est devenue un archétype hégémonique. Pour la création de logiciels comme pour celle de spectacles, chaque premier essai demande une évaluation des besoins et une reprise en fonction des résultats pour avancer et évoluer vers la résolution choisie. Ce cadre est précieux dans l’organisation du travail artistique : nous fonctionnons par prototypes successifs, testant des hypothèses en passant outre l’inhibition inhérente à la peur de mal faire, qui nous fait rester trop longtemps au travail de conception théorique à la table. Souvent, de chouettes idées ne voient jamais le plateau par peur de l’échec. Tester permet de dégager de la clarté, tout en sortant de ce piège et de cette malédiction qui nous laissent coincés dans l’abstraction.
Au cœur de votre boîte à outils et de vos pièces, il y a aussi un amour de l’humour et de la ludicité pour s’attaquer à des sujets scientifiques et philosophiques. Autant de points de départs soumis aux petits accidents nécessaires au trouble du hasard que vous affectionnez tant ?
Nous préférons ce terme de ludicité à la novlangue de la start-up nation qui parle de “gamification” ! En dépit de notre amour des formes fun, nous nous emparons souvent de sujets de connaissance rigoureux. Tout est affaire d’équilibre : si on penche vers trop de fun, ça devient creux, si le curseur monte trop vers la connaissance, cela ressort indigeste. Nous marchons sur une ligne de crête en essayant d’être le plus fun et le plus “interesting” possible ! De toute façon, je suis persuadé qu’on ne peut être sérieux que lorsqu’on déconne un minimum. Ceux qui sont trop sérieux sont louches, comme s’ils se forçaient !
Les représentations d’On traversera le pont une fois rendu·e·s à la rivière verront les derniers tours de roue du tracteur Patoux. Comment se décide la fin d’exploitation d’une pièce ?
Incroyable que vous sachiez cela, on dirait que vous avez accès aux fichiers secrets du drive de L’Amicale ! Patoux n’a jamais été très fringant avec ses problèmes de batterie. Nous l’avions acheté pas cher et il est en fin de vie, ce qui correspond à celui du cycle de diffusion de la pièce. Cette invitation strasbourgeoise était l’occasion de faire d’ultimes dates, sachant que, pour être honnête, la première de cette pièce, à la fois à vivre en réel et à la radio, n’était pas vraiment une réussite. Il a fallu quelques itérations de ce travail pour trouver une forme plus chouette et aboutie. Mais les programmateurs reviennent rarement voir un spectacle, ce qui ne nous a pas aidés. On devrait faire comme pour les logiciels et utiliser des numérotations de versions d’un spectacle car au final, comme les concepteurs de softwares, nous résolvons les bugs dans notre proposition. Au doigt mouillé, nous sommes peut être à la version 3.4 d’On traversera le pont une fois rendu·e·s à la rivière.
Au Maillon (Strasbourg) du 8 au 19 novembre – maillon.eu
> L’installation Les Thermes, 9-19/11 (sauf 13 & 14/11)
> Le Tiret du six de Samuel Hackwill, 9-12/11
> Un Faible degré d’originalité d’Antoine Defoort, 10/11
> Ami·e·s il faut faire une pause de Julien Fournet, 10-12/11, bord de plateau le 11/11 avec l’équipe
> De la sexualité des orchidées de Sofia Teillet, 16 & 19/11 au Maillon puis 17 & 18/11 hors-les-murs
> On traversera le pont une fois rendu·e·s à la rivière, 17-19/11, bord de plateau avec l’équipe le 18/11
* Antoine Defoort anime Sauvez vos projets (et peut-être le monde) avec la méthode itérative lors d’un atelier / conférence (12/11 au Maillon).