Céleste Boursier-Mougenot – artiste qui représentera la France lors de la Biennale de Venise en 2015 – expose persistances à L’Aubette 1928 de Strasbourg. Rencontre avec un créateur anti-pop, privilégiant l’immersion du visiteur.
Avec from here to ear, la plus célèbres des œuvres de Céleste Boursier-Mougenot (CBM), le public évolue dans une salle où volent des mandarins qui se posent sur des guitares électriques faisant office de perchoirs. En s’agrippant aux cordes des instruments, les volatiles créent des sons, se transformant le temps d’une installation vivante en rockers à plumes. Surnommé Birdman, l’artiste, que l’on a trop longtemps associé à cette proposition, produit des travaux croisant arts plastiques et écriture musicale, comme le montre son exposition à L’Aubette. Sa responsable, Camille Giertler, rappelle que la “Chapelle Sixtine de l’art moderne” à pour vocation d’exposer des travaux « véhiculant les valeurs prônées par l’avant-garde, notamment la synthèse des arts ».
L’œuvre pluridisciplinaire de Boursier-Mougenot s’inscrit totalement dans cet esprit. En la Salle des fêtes, il présente une version de videodrones, installation audio et vidéo qu’il développe depuis le début des années 2000 et reformule en fonction du lieu et du contexte. Six caméras placées sur la façade de L’Aubette filment en temps réel les alentours de la place Kléber. Les images sont projetées, live, dans la salle, se sur-imprimant aux compositions géométriques de Theo Von Doesbourg. Le son – sorte de bourdonnement continu – est généré par les images, le signal vidéo causé par le flux des personnes ou choses (trams, vélos…) qui passent dans le cadre. Le public est convié à observer cette chorégraphie urbaine et sonore, affalé dans un sofa ayant la semblance d’un rocher moelleux dessiné par Stéphanie Marin, puis à se rendre au Foyer-bar. Il y découvre persistances 1, pièce conçue pour L’Aubette, un euphonium, sorte de tuba en cuivre, posé sur un socle peint avec un « crépi pizzeria » assez ingrat, selon l’artiste lui-même. L’instrument recrache une fine mousse qui s’écoule au rythme de la bande sonore diffusée à côté, dans le Ciné-dancing : la matière matérialise le son. La bande sonore – approches (pièce pour voix, 1993) et immersions (pièce pour violons et altos, 1993) – rappelle que CBM a une formation de musicien ayant notamment travaillé, dans les 90’s, avec le chorégraphe et homme de théâtre Pascal Rambert pour lequel ont été écrites les deux œuvres musicales. Dans la salle de L’Aubette, chaque séquence se recompose, grâce à un programme, au cours de la journée : on n’entend jamais la même chose.
Littérature vs pop culture
L’exposition, véritable articulation entre les différentes pièces présentées, permet d’illustrer l’étendue du travail de l’artiste né en 1961 à Nice. Bercé par les notes de Terry Riley, de Satie ou de free-jazz, fasciné par le mouvement des vinyles tournant sur la platine familiale et ayant pratiqué la batterie dès l’âge de six ans, CBM entre au Conservatoire très tôt, même s’il se sent vite « inadapté à l’enseignement de la musique. Ce qui m’intéressait, ça n’était pas le solfège, mais la manipulation des instruments. » Plus tard, il prendra conscience de son incapacité à « bien imiter. Je n’étais pas suffisamment bon techniquement, il a donc fallu que j’invente des œuvres originales. Lorsque plus tard j’ai fait from here to ear, je me suis dit que c’était une évidence », qu’il fallait suivre cette voie.
Cet artiste sans atelier, nommé au Prix Marcel Duchamp en 2010, adaptant ses propositions aux lieux de monstration, conçoit des dispositifs depuis la fin des années 1990, des installations comme autant de partitions, des cadres dans lesquels la musique peut se créer. « La procédure policière sur les sons n’est pas la meilleure méthode pour composer », insiste l’auteur d’œuvres fonctionnant grâce à deux pôles antinomiques : l’hyper-détermination et l’aléatoire. Des exemples, entre arts plastiques et musique concrète : sa série de bassins où s’entrechoquent de la vaisselle en porcelaine au grès des remous de l’eau ou ses pianos se déplaçant lentement et se percutant par moments dans l’espace d’exposition.
Fortement imprégné de la Dream house de La Monte Young – espace lumineux dédié à l’écoute d’œuvres sonores, « où l’on se met en stand by » – CBM crée des déambulations audio-visuelles et contemplatives. Son intervention à la Biennale de Venise, l’an prochain, sera-t-elle dans cet esprit ? L’artiste reste très secret… Il transformera sans doute le Pavillon en « terre d’asile » utopique où l’on pourra demeurer longtemps, voire se reposer ou même dormir. « Je me place à l’inverse des artistes de la pop culture. Je ne m’adresse pas à l’ensemble des individus, mais à chaque visiteur, me demandant comment il va cheminer dans l’espace, ce qu’il verra et entendra. Je ne pense jamais en termes de groupe. » Il raconte des histoires prenant la forme d’une promenade, se sentant proche de la littérature et éloigné de « l’industrie muséale qui veut faire un maximum d’entrées. On ne lit pas un livre à plusieurs ! Quoi de plus agréable que d’être seul dans une exposition. »