Dans une passionnante exposition sobrement intitulée America! America!, le Museum Frieder Burda interroge le rêve américain en 70 œuvres majeures, des années 1960 à aujourd’hui.
L’affiche de cette exposition sous-titrée How real is real? en est le parfait résumé : œuvre iconique de William N. Copley, Imaginary Flag for USA (1972) est un drapeau dont les étoiles ont été remplacées par THINK, écrit en lettres blanches sur fond bleu, invitant à la réflexion sur le modèle américain en pleine Guerre du Vietnam. À l’ère Trump, le propos acquiert une pertinence nouvelle… Au fil des salles, le visiteur découvre comment les artistes ont questionné la réalité de l’American way of life et sa violence sous-jacente. Émeutes raciales, accidents de la route, chaise électrique… mais également stilettos glamour : le regard d’Andy Warhol oscille entre distanciation ironique et choc frontal, comme celui d’une autre pop star, Roy Lichtenstein dont est notamment présenté Reflections on Girl, représentation d’une girl next door pleine de tristesse issue d’un comic book. Autre vision de cette classe moyenne en pleine déconfiture, les portraits peints par Alex Katz au début de la décennie 2000, Carver’s Corner (réunion de cadres dépressifs autour d’un barbecue) et Beach Stop, où des vacanciers sous Tranxène traînent leur vide existentiel au bord de la mer. Ils font écho au jardin propret et mortifère de James Rosenquist (Front Lawn, 1964), comme si rien n’avait changé en quatre décennies.
Le parcours ressemble à une belle circumnavigation autour de la réalité américaine vue par les artistes avec les Today Series d’On Kawara, dates écrites en blanc sur fond noir, dont sont accrochés cinq toiles (de 1968, 1978, 1988, 1998 et 2008), histoire de montrer que si tout à changé, rien n’a changé. Le visiteur rencontre aussi les sculptures faites de morceaux d’automobiles de John Chamberlain, la réflexion sur l’identité de Cindy Sherman (avec sa géniale Sex Doll), les dessins noirs, terriblement noirs, de Robert Longo, les performances sexy de Vanessa Beecroft qui se confronte dans une violence glamour à l’idéal proposé (imposé ?) aux filles d’aujourd’hui, ou encore une œuvre régressive et inquiétante de Jeff Koons (Bear and Policeman, 1988). De cette dernière statue kitschoïde émane un étrange trouble, tant on a le sentiment que l’artiste place sous nos yeux la rencontre entre ses rêves d’enfant et une existence d’adulte. Toute l’exposition se trouve résumée par Untangling (1994) de Jeff Wall, photographie monumentale où un travailleur fait face à un inextricable et gigantesque nœud de cordes. Belle métaphore du réel.