Amères amours
Luxembourg accueille l’énergique et féroce production du Triomphe de l’Amour de Marivaux signée par Denis Podalydès, réflexion sur les mots et les sentiments.
Un jardin d’herbes hautes, une cabane de bois. Dans ce paysage de marais humide vivent, retirés du monde, le
philosophe Hermocrate, sa sœur Léontine et le jeune Agis. « J’aime la figure du philosophe à l’écart », concède Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie française. « Hermocrate a constitué une petite société organisée selon ses principes. On y jardine, on y fait de la musique, on y lit, on y boit et mange, mais on n’y aime point. L’Utopie tient à ce renoncement. L’harmonie règne au prix d’une mutilation. » Surgit la princesse Léonide, travestie en homme sous le nom de Phocion. Pour rendre le pouvoir au prince Agis, héritier légitime du trône dont elle est éprise, « elle mène simultanément trois conquêtes amoureuses avec autant de virtuosité que d’innocence. Hermocrate, sa sœur Léontine et le Prince succombent, non parce qu’ils ont affaire à une femme diabolique, mais à l’Ange, à l’Amour en personne, qu’ils avaient cru chasser du jardin. »
Comme souvent chez Marivaux, la légèreté affichée des personnages cache une analyse ne des rapports de pouvoir et de la cruauté du jeu amoureux. Manipulations, mensonges, trahisons, quiproquos et travestissements se succèdent. La langue de cette comédie de 1732, est éblouissante ; c’est finalement le premier sujet de la pièce et la mise en scène, ponctuée par les interventions enlevées du violoncelliste Christophe Coin, en souligne toute la cruauté. « Marivaux regarde de tout près comment agit le désir amoureux : d’où ça part, ça monte, comment ça vient aux lèvres, comment ça éclate. Le langage est le champ de bataille. » On rit parfois de bon cœur devant le spectacle de cette guerre sans merci – les valets sont désopilants – mais le final est cinglant. « Le Triomphe de l’Amour est un saccage, une hécatombe », conclut Denis Podalydès. « L’homme ou la femme qui aime se transforme en monstre, séduit et fait peur, bouleverse, affole, laisse les amants exsangues. Il n’y a pas d’amour heureux : l’amour-propre, l’orgueil humain, l’inconscient, conduisent le cœur et se jouent de la raison. Ils veulent bien jouer la comédie, rire et faire rire, mais que ceci soit payé de la chair de l’autre. » À l’aune de cet éclairage, l’ironie grinçante du titre de la pièce prend toute son épaisseur.
Au Grand Théâtre (Luxembourg), du 20 au 22 mars
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