Allumer le feu
La trop rare Vestale de Gaspare Spontini est mise en scène de sobre manière par Éric Lacascade à Bruxelles dans une distribution qui fait des étincelles.
En raison de travaux de rénovation, La Monnaie joue extra muros pendant une bonne partie de la saison 2015 / 2016 : cette Vestale est donc donnée au Cirque royal à l’acoustique, hum, disons, complexe. De plus, le chef italien Alessandro de Marchi a choisi de disposer son orchestre de curieuse manière, en demi cercle devant la scène avec, en bordure extérieure, les percussions et les vents. Ils forment une sorte de “mur” que les cordes ont bien souvent du mal à franchir, brouillant les perceptions. Difficile de juger de la qualité sonore de l’ensemble lorsqu’on se prend les trompettes en pleine poire ! Dommage, car la partition de Spontini – qui n’est plus guère jouée, on ne sait pourquoi – ressemble au chaînon manquant entre les ouvrages de Gluck et le grand opéra français d’un Meyerbeer, annonçant aussi Rossini et Wagner. « Foudres du ciel ! Quelle musique ! » écrivait Berlioz dans ses Soirées de l’orchestre… Postclassique ou préromantique – à chacun de choisir – cette partition de 1807 est une variation sur l’Art impérial version Bonaparte. La Vestale emprunte en effet à l’époque sa fascination pour l’antique et une volonté de s’affranchir de la tutelle de l’Église, explorant les rapports complexes entre pouvoirs spirituel et temporel avec, en toile de fond, le Concordat signé avec le Pape Pie VII en 1801.
L’histoire est celle d’un amour interdit entre le général romain Licinius de retour d’une campagne victorieuse en Gaule, et Julia, jeune vestale. Alors que leurs cœurs et leurs corps se rapprochent, la flamme sacrée qu’elle devait garder s’éteint. Pour cette négligence, elle est condamnée à être enterrée vivante, mais une intervention divine (bizarrement humaine, cependant, dans cette production) permet le happy end final. La mise en scène d’Éric Lacascade (créée en 2013 au Théâtre des Champs-Elysées) est d’une intense sobriété tirant vers la mise en espace. Pour lui, « Julia, femme victime, femme guerrière, femme révoltée, femme insoumise, révélée à elle-même par l’amour passion. La puissance de cette passion, la puissance de cette femme enflammée dépasse de loin toute époque ». Du coup, il se concentre sur l’expression intemporelle (costume sobres, décor presque inexistant) de la passion et de la tragédie chez tous les protagonistes, chorégraphiant aussi avec grande intelligence les mouvements du chœur. Last but not least, la distribution : elle est 100% francophone. Pour un livret écrit en français, le choix est logique… et payant. Il n’est pas celui de nombre de maisons d’opéra, mais bon. Les cinq solistes sont de très haut niveau, à commencer par la soprano Alexandra Deshorties (Julia) qui livre une performance impressionnante dans un rôle qui requiert une belle endurance vocale que Maria Callas avait remis au goût du jour dans les années 1950… Depuis, son ombre flotte sur toutes les vestales. Le reste du plateau est à l’avenant : le ténor Yann Beuron séduit avec son phrasé altier et limpide, campant un Licinius crédible, tandis que la Grande Vestale de Sylvie Brunet-Grupposo possède la noblesse et la chaleur que requiert son rôle. Le ténor Julien Dran (lumineux Cinna) et la basse Jean Teitgen (Souverain Pontif martial et sombre) complètent un tableau vocal sans fausses notes.
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