Dans sa nouvelle création ALL (à la lisière), la chorégraphe nancéenne Marie Cambois s’inspire de la lenteur et du cinéma de David Lynch.
Composer pour d’autres que soi, depuis l’extérieur du plateau. Rien d’une évidence pour Marie Cambois, qui aime tant danser, éprouver ses contraintes, réfléchir la lenteur en regard de la présence, depuis longtemps déjà, de musiciens. Chorégraphe et danseuse dans l’âme, c’est pourtant le cinéma qui déborde, toujours, dans ses propos. Ainsi en va-t-il de son nouveau projet, ALL (à la lisière). Les ressorts empruntés au 7e art y sont légion, à l’instar de l’écriture d’un scénario confié à Sonia Larue à partir d’entretiens menés avec les deux danseuses et la comédienne du projet. « Il est comme une partition de la pièce parmi d’autres, racontant la rencontre de ces trois femmes dans une brasserie de gare, un endroit chargé et symbolique, où l’on se croise, se rapproche et se sépare, où se nouent les drames des départs et des retrouvailles », confie la metteuse en scène.
Comme un prétexte à des évocations et des pensées qui ne prennent toutefois pas le pas sur les autres éléments de l’écriture de cette pièce, dans laquelle tout concourt à un sentiment d’étrangeté. À l’opposé de sa dernière création d’ampleur, 131, dans laquelle tout était caché et où elle évoluait, seule, perdue dans le noir, Marie Cambois propose une scénographie sans coulisses, dessinée par la lumière. L’espace de jeu, délimité par la projection des lignes d’un rectangle, offre au regard « la fabrique de ce qui naît autant que ses diverses potentialités, dans un changement de focales guidé par le son et la musique, nous baladant comme dans les films ».
Oscillations du temps
Autant d’éléments servant d’écrin à un flux continu de mouvements, dont les variations de temporalités s’appuient sur des effets cinétiques : ralentissements, accélérations, vibrations des intensités de présence. Dans cette danse-théâtre, tout ce qui l’anime depuis tant d’années s’entremêle : minimalisme, paroles portées, extrême lenteur, trouble de ce qui est exposé… quitte à désarçonner. Une posture assumée : « Je suis de celles qui se fichent de ne rien comprendre à un film comme Mulholland Drive car ce ne sont pas les réponses aux questions de sens que l’on peut se poser qui m’intéressent et me remuent, mais bien la grande place laissée à mes projections personnelles. »
La suspension du temps orchestrée dans ALL (à la lisière) permet à qui se laisse porter de s’y réfléchir à l’intérieur. Les arrêts sur image forment autant de torsions du réel, bribes de vie et de mouvements oscillant entre intimité pure, surgissement de l’inconscient et relations interpersonnelles. La danse, inspirée par la Judson Church* à New York, dans les années 1960, place les interprètes sur le qui-vive, « dans l’excitation de ce qui va advenir ». Le millefeuille narratif se déploie par la contamination et nous embarque dans une étrange rêverie, les yeux ouverts.
À Pôle Sud (Strasbourg) les 12 et 13 janvier dans le cadre de L’Année commence avec elles, puis en tournée à la Salle Europe (Colmar) le 18 janvier, à l’Espace 110 (Illzach) les 20 et 21 janvier dans le cadre de La Quinzaine de la Danse (12-31/01), au CCAM (Vandœuvre-lès-Nancy) les 7 et 8 février, à L’Arsenal (Metz) le 2 mars et au Nouveau Relax (Chaumont) le 23 mars
mariecambois.fr
* Notamment la pratique du Tuning score de Lisa Nelson, outil de composition chorégraphique qui repose sur des appels vocaux pris en charge par chacun des membres d’un groupe