Dans les visions d’Alice à l’Opéra national du Rhin
Du 11 au 23 février, l’Opéra national du Rhin accueillait la création mondiale d’Alice, chef-d’œuvre indémodable de Lewis Carroll, dans un ballet plein de malice.
Nous avons tous en mémoire des images (Disney pour les plus jeunes, Tim Burton pour les plus cinéphiles) d’Alice au Pays des merveilles. C’est peut-être le propre des grandes œuvres que de traverser les époques en renouvelant ses adeptes de générations en générations. Cette création pour le Ballet de l’ONR signée Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn se déroule sur une sublime composition de Philip Glass. Ritournelle répétitive au piano, sur un tempo en rupture, entêtant à souhait, c’est-à-dire du plus bel effet. Le point d’entrée dramaturgique choisit par le duo de chorégraphes offre une très belle mise en abyme. L’héroïne que nous découvrons n’est point une enfant. Notre Alice, grand-mère campée par la comédienne suisse Sunnyi Melles, renoue avec ses souvenirs d’enfance. Ce bain de jouvence fantastique offre tous les possibles à une pièce regorgeant d’inventivité.
Alice, So British
Dans son intérieur vieillot, elle somnole entre télévision et piano duquel semble sortir la mélodie Glassienne. C’est dans l’antre de l’instrument qu’elle suivra une version modernisée du lapin « toujours en retard », attendu quelque part qui revêt costume blanc cintré et casque de musique. Sautillant, pas enlevé et léger, il rayonne au milieu des rêveries d’une Alice qui, comme souvent dans les songes, a le don d’ubiquité. Ce n’est pas une petite fille mais plusieurs qui se retrouvent projetées dans les souvenirs sur polaroid d’une Angleterre plutôt punk et iconique, traitée de façon pop. Ainsi, sa rencontre attendue avec un Chapelier fou déjanté ressemble à une plongée dans les clubs de la capitale, entre liberté, provocation et vapeurs enfumées hallucinogènes. Pas question ici de rester trop terre à terre.
Folie douce à l’Opéra national du Rhin
Sur un rythme toujours enlevé, la vidéo est mise à profit dans une plongée digne du Yellow Submarine. Si la Reine de Cœur campe une silhouette digne d’Elisabeth II, tailleur strict et chapeau, l’opposition des cartes lors d’un match de football peine à être, si ce n’est crédible, attrayante. Il fallait bien un coup de mou après des scènes de classe virevoltantes et caustiques (le professeur bégayant n’est autre que le double de Lewis Carroll, atteint des mêmes difficultés), multipliant les clins d’œil à un autre héros iconique contemporain : Harry Potter. Toute la classe du Ballet éclate dans le foisonnement des tableaux et la justesse de leurs exécutions. Enfin, mention spéciale au Chat du Cheshire, matou mutin aux déplacements félins à couper le souffle et au costume chatoyant aux détails somptueux. Le retour sur soi dans le rétroviseur d’une vie apporte un supplément d’âme et de profondeur à cette Alice autant qu’il invite à envisager différemment les différents âges de la vie. Malicieuse et espiègle, cette Alice séduit autant par sa vision démultipliée d’un personnage principal ayant gardé une âme d’enfant, que par les chorégraphies collectives inventives (une danse des homards savoureuse !) d’Amir Hosseinpour et Jonathan Lunn.