En apesanteur : Air-Condition de Petter Jacobsson et Thomas Caley
La nouvelle création du duo Petter Jacobsson et Thomas Caley, Air-Condition s’inspire librement des préceptes d’Yves Klein sur l’expérience immatérielle de l’éphémère.
De l’icône Yves Klein, tout le monde connaît le fameux bleu hypnotique et son Saut dans le vide, photographie où il semble prendre son envol depuis un pilier situé à l’entrée d’un pavillon de Fontenay-aux-Roses. Nous sommes le 19 octobre 1960 et depuis quelques mois le Nouveau réalisme bat son plein. L’artiste écrit dans son Journal d’un seul jour : « Je suis le peintre de l’espace. Je ne suis pas un peintre abstrait, mais au contraire un figuratif, et un réaliste. Soyons honnêtes, pour peindre l’espace, je me dois de me rendre sur place, dans cet espace même. » Avec 24 danseurs, Petter Jacobsson et Thomas Caley s’emparent des fantaisies du créateur de l’architecture de l’air en faisant vivre, à leur manière, le ballet inachevé qu’il avait commencé à composer en 1954 : La Guerre (de la ligne et de la couleur) ou (vers une proposition monochrome). Il y offre un point de vue utopique sur l’histoire de l’art depuis Lascaux, tendant à montrer « le grand combat de la ligne avec la couleur depuis toujours ». Manuscrit maintes fois retouché, mêlant danse et film, il ne verra jamais le jour, mais détonne dans son entremêlement d’intentions musicales, visuelles (les longues plages de couleurs successives sont détaillées avec soin) et scéniques. « La ligne, jalouse de la couleur, habitante authentique de l’espace, tente de se libérer de sa condition de touriste de l’espace : le trait se dissout et envahit la surface picturale », précisait le peintre. Les directeurs du CCN – Ballet de Lorraine s’immergent dans cette philosophie qu’ils voient comme « une tentative utopique d’interagir avec le divin, une expression de l’irrépressible envie humaine d’aller caresser les cieux ». Pour tutoyer le génie initial, ils confient la scénographie d’Air-Condition au plasticien Tomás Saraceno, imaginant, dans la continuité des notes de Klein, un immense kaléidoscope d’ombres et de lumières, qui dégage des impressions atmosphériques. Les corps s’y meuvent et s’y débattent, comme pris dans une longue suspension avant la chute. Se placer dans les pas de leur aîné, c’est tenter de « mettre en scène l’expérience sacrée, l’héroïque et la “mystique moderne” qu’il incarnait ». Un « peintre de l’espace » n’est-il pas un poétique chorégraphe ? À l’instar de sa pratique première du judo et de ses spectacles dans lesquels le corps était utilisé comme un instrument, Petter Jacobsson et Thomas Caley rendent l’air visible à travers le réarrangement spatial perpétuel d’un rituel des sens essentiel.
Air-Condition à l’Opéra national de Lorraine (Nancy), du 10 au 14 novembre
ballet-de-lorraine.eu