Agiter le bocal
En préfiguration de la saison circassienne à venir au Théâtre de Hautepierre, Les Migrateurs lancent la première édition de Melting Pot, festival de cirque contemporain.
Dans la droite lignée des Voies Off (présentation, au Maillon, d’étapes de travail des compagnies qu’elle accueille en résidence de création à Hautepierre), l’association Les Migrateurs organise quatre jours de festival avec huit compagnies (de France, d’Allemagne et de Croatie), un concert et une jam session (atelier ouvert de danse contact et d’acrobatie). L’occasion de découvrir la suite de Circuits fermés (Voies Off du 18 mai) dans lequel le duo de jongleurs endiablés de la Compagnie deFracto explore, avec un incroyable humour et une douceur intime d’une intensité désarmante, les rapports et corps à corps de deux êtres aux allures d’oiseaux s’entraidant pour compenser leurs ailes trop lourdes pour voler. Dans un autre genre, la compagnie Non Nova de Philippe Ménard innove avec P.P.P. (Position Parallèle au Plancher) en s’emparant d’une substance inhabituelle : la glace. Jongler avec une matière se transformant à mesure qu’elle fond emporte le seul être en scène dans une chorégraphie des éléments bousculant nos repères habituels, questionnant la finitude des choses, la transformation et l’identité. Dans un espace vidé, comme un logement après le passage des huissiers, plus rien hormis des congélateurs ne subsiste. Pour le metteur en scène et interprète, « les objets congelés se transforment au contact de la peau et de l’air, laissant apparaître, petit à petit, une marre d’eau telle un bassin de larmes… Peut-être une métaphore de nos traces ? »
Schizophrenia
Le spectacle le plus contemporain sera sans nul doute C8H11N02 de la compagnie croate Room 100. Elle nous plonge dans l’étrangeté du corps et de sa perception. Jakov Labrović, metteur en scène et interprète, puise dans son histoire familiale les racines de ce spectacle portant le nom de la formule chimique de la Dopamine, neurotransmetteur du cerveau s’affolant chez une personne psychotique. Il n’a en effet que trois ans lorsque sa mère l’amène pour la première fois rendre visite à son frère aîné, atteint de schizophrénie, dans un hôpital psychiatrique. Sur scène, il recrée « l’atmosphère ambiante de l’environnement familial de sa jeunesse ». Devenu contorsionniste après un diplôme en sculpture, Jakov livre une vision extrême de son art. Face au public, il distord son buste, « casse son corps » pour en faire ressortir, lentement, ses omoplates comme des excroissances osseuses difformes, produisant un sentiment de malaise. Le choix de la contorsion comme spécialité ne doit rien au hasard, c’est une « réaction et une conséquence de [s]a vie personnelle que de s’astreindre à une pratique douloureuse, comme une voie thérapeutique ». Le processus d’expérimentation de Room 100 aboutit à une succession d’images hypnotiques pour « entraîner les spectateurs en profondeur, troubler leur perception », confie-t-il. Après la performance extrême de Jakov, dont le corps traité comme un matériau n’a plus rien d’humain, Antonia Kuzmanić évolue, en contraste, devant un carré d’eau. Couchée de profil, « son corps dénué d’identité s’y reflète et dessine celui d’un insecte ou de formes inconnues et étranges ». Quand Rorschach[1. Test d’évaluation psychologique élaboré par Hermann Rorschach en 1921 sous forme de “taches d’encre”] rejoint le cirque expérimental, une autre réalité s’offre à nous…
Circuits fermés de la Cie deFracto, vend 24 et sam 25 juin
C8H11N02 de Room 100 (à partir de 10 ans), sam 25 et dim 26 juin
À Strasbourg, au Théâtre de Hautepierre, du 23 au 26 juin
09 50 88 09 50 – www.lesmigrateurs.org