Afro jojo

Amiri Baraka, alias LeRoi Jones, poète, conteur, essayiste et romancier américain © Pascal Bastien

Célèbre militant de la cause noire – né LeRoi Jones, il changea de nom après la mort de Malcolm X –, musicien et écrivain engagé, Amiri Baraka se produit en quintet, à Strasbourg, dans un concert unique en France. Entretien avec cette légende septuagénaire du spoken word qui n’a rien perdu de sa verve révolutionnaire.

Gil Scott-Heron est mort le 27 mai 2011. Quel souvenir gardez-vous de celui qui fut, comme vous, l’une des figures engagées et militantes de la poésie noire, l’un des inventeurs du spoken word ?
J’ai rencontré Gil Scott quand il était à l’Université. Il est venu à Newark (New Jersey) pendant notre campagne visant à faire élire Ken Gibson, le premier maire afro-américain de Newark[1. Peuplée à plus de 53% par des afro-américains, Newark est une des plus grandes villes du New Jersey. Kenneth Allen Gibson fut, en 1970, le premier afro-américain élu maire d’une ville du nord-est des États-Unis]. J’ai toujours admiré Gil Scott en tant que poète et artiste.

The Revolution will not be televised était sa chanson la plus connue dans laquelle il critiquait ce média de masse et la vision du monde qu’il véhiculait…
Ce morceau a été le moment phare de ses débuts. Mais il a écrit et déclamé tant de grands textes et chansons. La frustration d’être noir en Amérique, avec autant de talent, l’a mené dans les horreurs de la drogue.

 

Dans Le Peuple du blues : une musique noire dans une Amérique blanche[2. LeRoi Jones, Le Peuple du blues : une musique noire dans une Amérique blanche, Gallimard, collection Folio], vous analysiez les origines et le pouvoir libérateur de la musique afro-américaine, critiquant les tentatives de récupération par les blancs. Les choses ont-elles changées depuis 1963 ? La musique joue-t-elle toujours ce même rôle ?
C’est l’explication de ses maux qui a changé aux États-Unis. Il y a un langage différent, tout comme l’est l’histoire à la Une. De nombreux changements importants ont eu lieu mais ils ont été le résultat de luttes constantes et implacables, en particulier de la communauté noire contre l’esclavage, les discriminations, les lynchages… encore aujourd’hui, même avec un Président noir.

L’Amérique vient de commémorer les événements du 11 septembre et l’on se souvient de votre endiablé Somebody blew up America dans lequel vous rapprochiez le terrorisme dont fut victime l’Amérique et celui qu’elle-même engendra sur son sol envers les Indiens et Afro-américains. Le chemin parcourut est énorme depuis les luttes pour les droits civiques. Et pourtant, la route semble toujours longue…
Oui, avec emphase, nous sommes toujours sur cette longue route. Mais le monde lui-même est encore et toujours sur cette route en direction d’une meilleure manière de vivre. C’est pourquoi il y a de si nombreuses guerres, meurtres, coups d’état mais aussi ces mensonges et règles internationales violentes, l’impérialisme et le monopole du capitalisme qui jamais ne créent le bonheur des gens sur terre. Donc la lutte continue !

 

Comme dans les années soixante, la musique black domine le marché et s’exporte à l’étranger dans le jazz, le hip-hop, la nu-soul… Vous revendiquiez un héritage culturel africain avec un besoin de reconnaissance identitaire. La jeune génération le revendique encore et toujours. C’est ce qui fait la vitalité et la force de la musique black ?
La vitalité de la musique black est celle de ses créateurs car, pour la plupart, ils continuent de lutter et d’évoluer dans un monde de troubles dont leur art est le reflet.

De Strange Fruit (Billie Holiday) à We people (Curtis Mayfield) et Say it loud, I’m black and I’m proud (James Brown), la musique noire a toujours contenue une part importante de revendication, d’engagement contre la racisme et l’absence de liberté subis par la communauté noire. Dans l’Amérique d’Obama, le combat se perpétue ?
Oui, cette lutte est toujours en court. Les années Obama ont engendré de nouvelles sortes de frustrations. La majorité des Afro-américains est toujours oppressée et exploitée. Le Ku Klux Klan a enlevé ses robes blanches et cagoules pointues pour rejoindre le Congrès américain ou le Parti républicain ou le Tea Party.

Vous étiez venu à Strasbourg en 2008, accompagnant William Parker pour un hommage à Curtis Mayfield. Que nous réservez-vous, cette fois, avec votre Quintet ?
Le nouveau Quintet avec lequel je viens à Strasbourg interprétera des extraits de mon livre Wise, Why’s, Y’s[3. Wise, Why’s, Y’s : The Griot’s Song Djeli Ya, Third World Press, 1995]. Cela parlera des nouvelles luttes mondiales entre la vérité et les mensonges, notamment autour de mon poème Somebody blew up America.

 

À Strasbourg, à la Cité de la Musique et de la Danse, présenté par Musica, Jazzdor et Pôle Sud, mardi 4 octobre
03 88 39 23 40www.pole-sud.fr
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