Affreux, sales et méchants
Adaptée d’un polar de Jean Vautrin, la dernière BD de Baru ressemble à un roman noir en plein soleil. Sous la Canicule se déploie un ballet sordide et tragique, où des péquenots de la Beauce croisent un malfrat new-yorkais. Qui sera le pire salaud ?
Lecteur presque exclusif de roman noir, Baru aime les auteurs, « américains pour la plupart, qui parlent du monde de manière frontale, sans fioritures psychologiques. Les personnages n’ont pas à dire ce qu’ils sont, ils n’ont qu’à faire ce qu’ils font et on sait qui ils sont », résume-t-il, un sourire en coin, comparant cet univers à ses bandes dessinées « sans concessions avec le réel ». Parmi les rares écrivains français qui trouvent grâce à ses yeux, il y a le vosgien Pierre Pelot (dont il a adapté Pauvre Zhéros en 2008) et Jean Vautrin, rencontré à Angoulême… et apprécié au point d’initier une collection chez Casterman où tous ses romans se verront, peu à peu, adaptés en BD. Canicule, première pierre de cet édifice, est un récit crépusculaire se déroulant, sous un soleil de plomb, dans les immensités de la Beauce qui avait déjà séduit Yves Boisset. Dans ce film culte des eighties, que Baru – quittant là sa Lorraine tant aimée – n’a pas eu envie de voir, histoire d’arriver vierge dans cette histoire, il met en scène un braqueur new-yorkais en costard noir. Jimmy Cobb (incarné par Lee Marvin) vient de commettre un hold-up : il fuit la gendarmerie et planque son magot dans les blés, puis se réfugie dans une ferme où il trouvera plus crade, plus violent et plus haineux que lui.
Pour Baru, le truand, « c’est l’ange pasolinien. Sa simple présence va tout faire exploser. Le statu quo qui régissait le monde où il débarque vole en éclats. » Ce monde c’est celui des « ploucs, mais des ploucs à pognon », une petite bourgeoisie foncière taraudée par un désir sexuel bestial, vivant dans une cruauté absolue et possédant un rapport névrotique et dégueulasse à l’argent. « Des porcs qui sont pires que les porcs ! » Dans un univers situé quelque part entre l’enfer sur terre et Dupont Lajoie, Cobb – qui a pourtant les mains pleines de sang – fait presque figure de type bien : « Lorsqu’il est confronté à une sauvagerie différente de la sienne, il est surpris et dépassé. » Mais au final, impossible de sauver un personnage, les enfants se montrant pire que leurs parents : « Dans mes albums, j’essaie toujours de ne pas désespérer de l’humanité. Au fond du couloir, dans le noir, il y a toujours un interrupteur pour allumer la lumière… Dans ce roman, Vautrin nous donne à voir le pire. Peut-être pour nous inciter à l’éviter. »