Grâce à un corpus d’environ 140 pièces majeures, la Moderne Galerie de Sarrebruck fait dialoguer les œuvres de deux révolutionnaires : Auguste Rodin et Bruce Nauman1.
Ils sont venus au monde à un siècle de distance : Auguste Rodin (1840-1917) et Bruce Nauman (né en 1940) ont, chacun à leur manière, dynamité les canons esthétiques de leur époque, faisant souvent scandale. Pour Roland Mönig, directeur de l’institution sarroise et commissaire de cette exposition, « le premier incarne l’histoire et la tradition d’une collection regardant autant en direction de la France que vers l’Allemagne, tandis que le second est l’image d’une nouvelle radicalité symbolisant ce que le musée peut et doit faire. » Dans un parcours construit thématiquement tout en délicatesse, il ne cherche « ni à démontrer une filiation, ni à proposer des rétrospectives croisées, mais à expérimenter, à mettre les œuvres en résonance ». Se découvre ainsi dès l’entrée une réponse à la fondamentale question : « Que fait l’artiste ? » La répartie en néon de l’Américain – The True Artist Helps the World by Revealing Mystic Truths (1967) – se reflète dans le cube de verre protégeant un Penseur (1880) du Français, icône sculptée pour le tympan de la Porte de l’Enfer et figure idéale du créateur.
Au fil des salles et des sujets (L’Atelier, L’Espace, Le Fragment…), les correspondances se déploient avec subtilité, permettant aussi de « faire sortir Rodin de la case romantique. En le confrontant avec Nauman, on découvre le provocateur, celui dont quatorze dessins exposés à Weimar en 1906 ont forcé Harry Graf Kessler, directeur de la Kunsthalle, à démissionner tant le scandale était grand. » Expressives en diable, violentes, érotiques et crues, certaines de ces œuvres sur papier rarement montrées irradient sur les cimaises de Sarrebruck. Dans les sculptures également, le corps est mis en mouvement : confronter le célèbre bronze intitulé Homme qui marche (1899) et les néons de Marching Man (1985) révèle un commun caractère. Si certains motifs sont partagés comme la main (La Cathédrale, 1908 fait, par exemple, face à Pair of Hands de 1996), c’est dans la démarche éminemment expérimentale des deux artistes que le rapprochement fait sens. Pensons aux abattis2 (ce « feu qui alimentait l’imagination » pour Roland Mönig) avec lesquels Rodin crée des chimères humaines se jouant des proportions : deux bras gauche sont enlacés dans une étonnante arabesque, le battoir d’un des Bourgeois de Calais enlace voluptueusement un fragment de corps de femme (La Main du diable, 1903)… Dans la dernière section, Émotion et Conflit, s’incarne avec plus de force encore la parenté entre les deux hommes : l’immense et souffrante Tête de Pierre de Wissant (1909)3 observe de ses yeux mi-clos le Ten Heads Circle / In and Out (1990) et ses visages multicolores dans un tourbillon de douleur et de fragilité mêlées.
À la Moderne Galerie du Saarlandmuseum (Sarrebruck), jusqu’au 26 janvier 2020
modernegalerie.org
kulturbesitz.de
1 Voir Poly n°208 et sur poly.fr
2 Rodin désignait ainsi ses morceaux (bras, têtes, jambes, mains ou pieds) qu’il modelait en terre avant de les faire mouler en plâtre, en de nombreux exemplaires. Il obtenait ainsi un répertoire de formes dans lequel il n’hésitait pas à puiser pour les combiner
3 Déploiement colossal d’un des Bourgeois de Calais