À travers le miroir

Photo de Benoit Linder pour Poly

Même s’il est plus facile d’y voir une variation sur l’art floral, les peintures d’Anne-Sophie Tschiegg sont profondément abstraites. Sous les apparences d’une surface apaisée se découvrent de surprenants abysses.

Des compositions végétales avec leurs pétales colorés se déployant, complexes et raffinées, sur la toile. Voilà comment se présente, au premier regard, l’art d’Anne-Sophie Tschiegg. Mais ces “fleurs” ne sont qu’un « prétexte », tout sauf un motif. Sa peinture ressemble en effet à une plongée dans un univers organique abstrait, sans volonté de représentation aucune. Si elle prend le chemin des plantes, c’est « uniquement par accident », s’amuse l’artiste qui n’a pas exposé pendant une dizaine d’années. « J’avais le sentiment que ma production était une imposture, des “illustrations en grand” » explique celle qui est essentiellement connue comme graphiste (se chargeant notamment d’illustrer la plaquette du TJP de Strasbourg et du Relais culturel de Haguenau) et dont la peinture demeure un « jardin secret » jusqu’en 2007. Pendant des années, elle reste solitaire, travaille beaucoup, ne montre rien, n’étant jamais satisfaite, jusqu’à ce que Jan Peter Tripp la force à exposer, lui expliquant qu’à ce rythme-là, elle allait travailler toute sa vie sur la même toile et finir comme Joseph Grand, personnage de La Peste de Camus, qui passe son temps à polir la première phrase d’un livre qui n’existera jamais.

Photo de Benoit Linder pour Poly

Dans cette exposition se déploient des toiles aux couleurs généralement sourdes marquées du sceau de l’urgence. Comme ceux de Georg Baselitz, Sigmar Polke ou Per Kirkeby, les gestes picturaux d’Anne-Sophie Tschiegg renferment une intense force intérieure, une sauvagerie qu’elle tente de contenir dans l’espace du tableau, mais qui dégouline, expressive, joyeuse et, parfois, inquiétante dans d’amples coulures et se manifeste dans les efflorescences de silhouettes qui ne sont finalement que des ectoplasmes floraux plein de frénésie. Derrière un calme apparent se cachent de profonds gouffres : si les toiles sont végétales, elles donnent à “voir” le sombre rhizome des plantes plutôt que leur éclosion joyeuse et solaire. Les couches de pigments, « plus d’une cinquantaine, bien souvent », s’accumulent, se stratifient sur une toile qu’elle a du mal à juger achevée. Alors parfois, elle écrit, en majuscules et bien proprement, THE END dessus. Histoire de mieux recommencer.

À Mulhouse, au Musée des Beaux-Arts jusqu’au 10 juin
03 89 33 78 11 – www.musees-mulhouse.fr
À Haguenau, à la Chapelle des Annonciades du 1er décembre 2012 au 20 janvier 2013
03 88 93 79 22 – www.ville-haguenau.fr
http://astschiegg.blogspot.fr

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