A question of lust
Avec Trop n’est pas assez, le Cartoonmuseum Basel signe la première rétrospective consacrée à la dessinatrice Ulli Lust.
Ulli Lust (née en 1967) est connue pour ses deux romans graphiques autofictionnels, pavés de près de 500 pages chacun : Trop n’est pas assez et Alors que j’essayais d’être quelqu’un de bien. Dans le premier, elle narre avec franchise l’odyssée de deux jeunes punkettes, naïves rebelles, décidant de tracer la route au cours de l’été 1984. Elles s’embarquent dans une errance initiatique de l’Autriche à l’Italie. Ambiance auto-stop et squat pour une épopée souvent crue et drolatique, parfois amère et pathétique. Dans la seconde, nous voilà en 1990, au cœur d’un ménage à trois : l’héroïne, Georg avec qui elle entretient une complicité intellectuelle – plombée par un différentiel de libido – et Kimata, un Nigérian sans papiers. Cette version trash de Jules et Jim est l’éclatante affirmation de la liberté d’une femme dans une Autriche corsetée et xénophobe, questionnant le racisme ordinaire et un sexisme qui l’est tout autant.
Si des planches originales de ces deux opus au style nerveux et mordant rappelant les comics autobiographiques de Jeffrey Brown sont présentées dans l’exposition, le visiteur y découvre bien d’autres aspects de l’art de l’Autrichienne à qui l’on doit des albums comme Voix de la nuit, fascinante adaptation d’un roman de Marcel Beyer. Voilà une plongée hallucinée dans le Troisième Reich autour de l’acousticien Hermann Karnau qui tente d’obtenir la voix aryenne la plus pure et finira dans le Führerbunker avec son mentor Goebbels, sous les bombes soviétiques dans une fin crépusculaire.
Fondatrice du site electrocomics.com – où sont publiées des BD d’auteurs du monde entier – et du Groupe Monogatari (1999- 2005) connu pour ses reportages en images, Ulli Lust a aussi réalisé la série Fashionvictims rassemblant des dessins d’observation de la vie à Berlin, où elle réside aujourd’hui. Parmi les travaux les plus intéressant présentés figurent des pinups rappelant Tournée de Mathieu Amalric ou des portraits dans lesquels ses contemporains sont croqués avec une féroce tendresse. S’y croisent notamment deux couples, dont le point commun est la main de l’homme lubriquement posée sur la poitrine d’une femme : les personnages sont replets, sapés comme des beaufs post-Cabu, plantés dans des décors ploucs, vautrés avec une simplicité et une attachante bonhommie dans la contemporanéité. Malgré cela, il est difficile de s’en moquer. Ulli Lust réussit en effet à instiller une profonde humanité dans ces duos joyeusement libidineux.
Au Cartoonmuseum Basel, du 30 juin au 28 octobre
cartoonmuseum.ch
ullilust.de
> Trop n’est pas assez, Voix de la nuit et Alors que j’essayais d’être quelqu’un de bien, parus chez Çà et là – caetla.fr
> Visite guidée en français les 19/08 et 14/10