À livre ouvert
Le 29 avril, Sélestat posait la première pierre de sa nouvelle Bibliothèque Humaniste, pour une réouverture prévue en 2018. Une rénovation complète et une extension contemporaine signées par l’archi superstar Rudy Ricciotti. Un lieu ouvert, jouant sur les effets de transparence et s’inscrivant dans la cité tout en affirmant sa personnalité.
La Bibliothèque Humaniste rassemble des ouvrages issus de la Bibliothèque paroissiale (créée en 1452) de l’école latine de Sélestat et d’un important don à la Ville de Beatus Rhenanus (fait en 1547), grande figure de l’Humanisme rhénan. Installée dans l’ancienne halle aux blés en 1889, elle conserve manuscrits médiévaux et imprimés allant du VIIe au XVIe siècle comme le Lectionnaire mérovingien (VIIe siècle) ou la Bible de la Sorbonne (XIIIe siècle), mais aussi des objets d’Art. Cette importante collection constitue, pour Vincent Husser, « une page de l’Histoire de la pensée européenne ». Selon le chargé de projet pour la nouvelle Bibliothèque Humaniste, les travaux entrepris dans cet équipement patrimonial « vieillissant » s’avéraient nécessaires, pour l’accueil du public comme la conservation de ce « trésor. Avec le temps, la dimension muséale a pris le pas sur la bibliothèque et 80% des visiteurs ne sont pas des lecteurs, même si nous accueillons régulièrement des chercheurs du monde entier. » Il fallait rendre accessible à un public non spécialisé une collection témoignant d’une époque où l’on fait appel « au libre arbitre des citoyens invités à réfléchir par eux-mêmes », en se saisissant des écrits. Afin de rendre attractif ses ouvrages, notamment auprès des plus jeunes, la Bibliothèque va « raconter une histoire, celle de Beatus Rhenanus, proche d’Érasme. La muséographie présentera le parcours de vie de ce Sélestadien qui eut une grande notoriété mais qu’on ne connaît pas suffisamment. Le visiteur ne sera pas confronté directement aux livres, mais va les rencontrer à travers un personnage qui a beaucoup voyagé. »
De l’espace
Pour mener à bien ce projet, il fallait passer d’une surface d’exploitation de 1 000 m2 à 2 500 m2, l’objectif étant de créer de l’espace pour construire des réserves (en sous-sol), un auditorium, un lieu d’exposition temporaire, abriter une salle de lecture ou un atelier de restauration visible de tous, d’inventer une nouvelle “mise en scène” des ouvrages mais aussi, dans l’extension, d’ériger une boutique, une cafétéria ou encore des bureaux administratifs. La bibliothèque évolue et rompt avec une image un brin figée, devenant un lieu vivant, un outil permettant de développer « une action pédagogique et culturelle de manière plus ambitieuse », s’enthousiasme Vincent Husser. Rudy Ricciotti, grand prix national d’architecture en 2006, auquel on doit notamment le MuCEM ou la BAM, a choisi de respecter la typologie de la halle aux grains, mais de la décloisonner, l’évider en son cœur afin de la faire respirer. Selon Clément Conil, chef de projet de l’agence de Rudy Ricciotti, la halle, avec « ses espaces vastes et traversant, va offrir, depuis le rez-de-chaussée, de pignon à pignon, une vue sur le patrimoine environnant. » Et de citer l’Hôtel d’Ebersmunster, magnifique bâtiment renaissance, ou l’Église Saint-Georges qui abritait originellement la Bibliothèque paroissiale. L’idée est de révéler « l’essence de la halle, de redonner à voir son architecture néo-romane, très ouverte à l’origine, et de la sublimer. » Un sentiment de vertige saisira le visiteur, placé en cet imposant volume, avec une hauteur sous plafond de presque seize mètres.
Un signal
L’extension est, selon Vincent Husser, un « marqueur contemporain » s’intégrant dans un tissu urbain au caractère fort, ouvert sur un parvis dégagé qui a nécessité la destruction de quelques maisons environnantes. Elle s’inscrit dans la volumétrie des habitations adjacentes, faisant écho à la culture de l’ornementation des villes alsaciennes, avec des murs traités en voile de pierre et, au Sud et à l’Est, des façades transparentes rythmées par une série de piliers semblant répondre aux colombages environnants. La nouvelle bâtisse se pose sur la halle de manière délicate, respectueuse. Clément Conil évoque un « point de contact traité sous forme de vitrage », un édifice ne venant pas « se greffer dans la masse du bâtiment, mais s’y adosser avec légèreté ». L’architecte décrit les colonnes en grès rose des Vosges : « Plus on monte, plus elles sont sculptées, donnant une impression de non verticalité », dans un jeu optique et graphique. « On fait danser les colonnes », tout en perpétuant un savoir-faire local, en délaissant un temps le matériaux de prédilection de Ricciotti – le béton – pour la pierre.
Des défis
Pour Rudy Ricciotti qui considère l’architecture comme un sport de combat, voire une corrida, le défi principal de ce programme fut d’abord d’ordre « technico-scientifique. Nous avons restitué au maximum le bâtiment existant tout en le rendant stable. Normalement, il aurait fallu tout raser, mais grâce à un certain nombre de manipulations structurelles et à la compétence du maître d’ouvrage, la Ville de Sélestat, nous avons pu conserver la charpente et lui conférer la rigidité mathématique et mécanique nécessaire. » Le second pari ? La colonnade en pierre qui perpétue « la quête d’élancement – un rapport entre hauteur et largeur – présente dans l’Histoire de l’architecture. Celui-ci donne un supplément d’âme à ces colonnes de dix mètres » qui ont la semblance de longilignes danseurs pris dans des gestes de torsion, à la manière des Esclaves sculptés par Michel-Ange. Selon l’auteur du Pavillon noir, centre chorégraphique réalisé pour le Ballet Preljocaj à Aix-en-Provence, « la question du corps est très présente » dans son travail. « Ces colonnes légèrement torsadées, vrillées, déformées, incarnent la dynamique et le mouvement. » Vincent Husser se réjouit de l’élévation de ces piliers qu’il voit comme des clins d’œil aux fondations de l’Humanisme rhénan, ses valeurs. La nouvelle Bibliothèque, « héritage repensé, trait d’union entre le passé et l’avenir », s’apprête à rayonner bien au-delà de Sélestat et à « diffuser ses connaissances ».
www.selestat.fr www.rudyricciotti.com Visuels © Agence Rudy Ricciotti Portrait de Rudy Ricciotti © Marco Jeanson