À la ligne (feuillets d’usine), ou la vie d’un ouvrier au Taps Scala

© Arnaud Bertereau

Mathieu Létuvé adapte À la ligne (feuillets d’usine), le quotidien douloureux et curieusement poétique d’un ouvrier, dont il est difficile de sortir indemne. 

« Quand j’ai lu ce livre paru aux Éditions La Table Ronde, en 2020, j’ai tout de suite eu un coup de coeur », explique le metteur en scène. Mathieu Létuvé retranscrit en solo la prose de l’écrivain Joseph Ponthus (1978-2021), décédé deux ans après la publication de son histoire – car il s’agit bien là de sa propre expérience. « Il nous immerge dans un environnement violent, d’abord dans le secteur des crustacés et ensuite dans la partie bouleversante des abattoirs », poursuit le comédien. « Il crée un espace mental, matérialisé par une boîte noire d’environ neuf mètres carrés, dans laquelle j’évolue, éclairée de l’intérieur par des lumières blanches. » Des bacs reposant sur des portants à roulettes permettent de construire et déconstruire les espaces, aidant le public à se projeter aléatoirement dans l’usine elle-même, le vestiaire et le domicile du narrateur, sobrement symbolisés par un banc et une chaise. Désireux d’incarner le plus fidèlement possible la réalité du monde du travail, Mathieu Létuvé n’hésite pas à le rendre frontal, anxiogène et éprouvant. 

© Arnaud Bertereau

« L’autre jour, à la pause, j’entends une ouvrière dire à un de ces collègues : Tu te rends compte : aujourd’hui, c’est tellement speed que j’ai même pas le temps de chanter », prononce-t-il, presque blasé, lors d’une réplique. « Je crois que c’est une des phrases les plus belles, les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la condition ouvrière », termine-t-il avec force. Des propos coup de poing amplifiés par des mouvements à la croisée du hip-hop, de la chorégraphie industrielle à la chaîne et d’effusion purement instinctive. « Parfois, pour certaines pièces, je travaille avec un danseur. Cette fois, je n’ai pas voulu trop styliser mes gestes, sans pour autant les rendre complètement réalistes. Le corps de l’ouvrier s’exprime dans un entre-deux. » Une poésie également traduite par l’univers electro du musicien Olivier Antoncic, dont les compositions sont performées en direct par Renaud Aubin. « Son style me parle et se marie parfaitement avec la dimension de l’usine. Mon écriture est aussi très cinématographique, nos créations sont donc assez puissantes, comme les bandes-son d’un film. » À l’image des brusques jeux de lumière, la musique marque toutes les étapes de transition entre les différents secteurs de l’atelier, telle une lente descente aux enfers. « La scène des abattoirs est d’une telle violence, que c’est toujours particulier pour moi », analyse Mathieu Létuvé. « On ne sort pas intact de la représentation, moi le premier. Pourtant, à travers toute cette souffrance, on s’en trouve renforcé. Cette dureté de l’épreuve est aussi une sorte d’acte de naissance », conclut-il. 


Au Taps Scala (Strasbourg) du 19 au 21 décembre 
taps.strasbourg.eu 

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