A la fin de l’envoi, je touche
Dans son dernier ouvrage Je te ressers un Pastis ? l’architecte Rudy Ricciotti, invite son lecteur à assister, au bord du zinc, au dialogue qu’il engage avec lui-même à fleurets pas toujours mouchetés.
Au-dessus de la rade en contrepoint d’un Cassis abimé, au bout du bout, en face de l’à-pic, au bord du sublime et de l’effrayant, de la banlieue d’Alger au banc de sable de la Camargue, entre pointus, tankers et destroyers, mas pseudo-provençaux, maisons d’archis et stades emblématiques, Rudy Ricciotti plante le décor critique de sa vision du monde. Dans ce monologue, l’architecte de la Bibliothèque humaniste new style, de la BAM et du Mucem (entre autres) nous invite à une promenade au coeur de l’Homme qu’il est devenu, de l’architecture de sa pensée à ses premiers émois piqués au sable incandescent de sa Méditerranée, aux abysses et aux monstres qui y vivent. Mise en accusation de toutes pensées manichéennes qui viennent voler l’âme des enfants fantasques que nous devrions tous rester, regard acéré sur les humains, le narrateur convie Malaparte, Pasolini et quelques autres à ce café de la poste de bonne tenue.
Le personnage est bel homme, il a la peau cuivrée à l’envi, est grand, a un regard pénétrant et triste, des mains à la Schoengauer qu’il manie comme le verbe, à l’excès. Il ne parle pas, il boxe ! À l’antithèse d’un être lisse, il n’est pas poli, mais rugueux, doué d’aspérités, presque baroque. C’est un homme de la contre-réforme, qui conspue l’ascétisme minimaliste en vogue et la doxa anglo-saxonne. Ce disciple d’Arthur Cravan se met en danger tout le temps, passant de la gaudriole au propos tenu, avant d’affirmer, pour la forme, s’emparrant de Cyrano de Bergerac : « À la fin de l’envoi, je touche ! » Pour paraphraser Woody Allen il s’auto-interviewe, c’est plus sûr et au moins on n’est pas déçu ! Bretteur impénitent, il s’observe, la partie de pilpoul s’installe. Il jauge, évalue, avance goguenard pour mieux ferrer le cultureux sachant, l’adepte du macrobiotique végétarien sans gluten, le sans sang futur collabo, le bobo de gauche bien-pensant, les créationnistes de tous bords… Il les vomit car les certitudes monothéistes lui font peur. Elles appellent le fascisme, font chauffer le ventre encore fécond d’où a surgi la bête immonde, finissant invariablement par offrir au chrétien de brûler la sorcière, au vegan de manger le boucher. Car Ricciotti est républicain, sans concessions envers celle qu’il aime, big, bam, boum, il distribue des swings et des uppercuts à la manière d’un Gainsbarre, puis d’un grand sourire enjôle, cajole, brosse, chante la Marseillaise, puis reprend les coups. On aime ou on déteste, ça a un goût d’Audiard et le spectacle est bon, alors on en redemande. Le matador se cabre, il reprend sa danse, sentant le regard du public… il empourpre la Goyesque.
Paru aux éditions de l’Aube (12,90 €)