Souvenirs, souvenirs
Organisée au Musée de La Cour d’Or de Metz en partenariat avec Les Journées européennes de la culture juive, l’exposition dédiée aux Traces d’exils et de lumière d’Alain Kleinmann explore la mémoire des peuples.
Dans l’espace habité (hanté) par les photos, sculptures, peintures ou, parfois, tout ça à la fois d’Alain
Kleinmann, les esprits semblent souffler, “brouhahater” doucement, brisant un silence pesant. Face aux mille visages photographiés qui emplissent les cimaises, Claire Meunier, conservatrice du Patrimoine, évoque « une thématique globale déclinée en fonction des médiums », des sujets qui traversent l’œuvre d’un artisan très apprécié par Louis Aragon. L’homme de lettres perçoit le travail de son ami comme « un sentier pétri d’humanité chaude et douloureuse qui bouleverse par sa vérité plastique et poétique. » Les travaux du plasticien entrent en résonance avec le musée et son histoire. La notion de souvenir est le principal fil rouge de ses travaux, faisant écho à l’institution muséale, « gardienne des traces du passé qu’elle révèle après avoir été longtemps effacées », notamment dans la section archéologique de La Cour d’Or, rappelle Claire Meunier. Aussi les vieux livres, recouverts de peinture ou moulés dans du plâtre, sont très présents ici, comme des clins d’œil à la future entrée du Musée* qui se fera par l’ancienne bibliothèque municipale située dans la Chapelle des Petits-Carmes. Kleinmann est un artiste ayant une sensibilité similaire à celle de Christian Boltanski et un vocabulaire proche de ce grand interrogateur de la mémoire auquel il est difficile de ne pas songer, surtout devant ses installations incluant des photos du XIXe siècle jaunies par le temps. Suspensions II se présente comme un essaim de clichés usés par les années, recouverts de fragiles feuilles de thé et collés au mur. Le temps semble suspendu lorsqu’on observe cette nuée de personnages surgissant du d’antan. Toutes les images anciennes, collectées par l’artiste depuis des décennies, ainsi que des landaus d’âge canonique, des livres aux reliures en épais cuir et pièces de mobilier qu’il aurait pu emprunter à ses arrière-grands-parents, composent la palette dans laquelle il trempe son imaginaire pour peindre des destins individuels et collectifs. Il s’agit d’« un alphabet » permettant de raconter de petites ou de grandes histoires dans des installations figées en un camaïeu de couleurs passées, comme les corps retrouvés à Pompéi. Lorsqu’il montre une famille s’apprêtant à partir en voyage, on ne peut s’empêcher de songer à la migration, forcée ou non, de populations d’hier ou d’aujourd’hui. Fortement marqué par la Shoah, il exorcise le mal par le geste artistique. Car, questionne Claire Meunier, « qu’est-ce que l’Art sinon un moyen de surmonter les pires événements en créant de la beauté ? »
* La nouvelle entrée sera inaugurée la semaine du 14 au 18 mai, avec une ouverture au public pour la Nuit des musées, le 19 mai