Pina et moi
Danseuse emblématique des pièces de Pina Bausch, Cristiana Morganti s’essaie à la chorégraphie avec Jessica and me, un one woman show électrique présenté par MA Scène nationale et Le Granit.
Pieds nus, en tenue noire, elle investit le plateau. Ses mouvements de bras et de mains sont minutieux et très précis. Une voix off surgit. Accompagne-t-elle la danse ? Ou est-ce la danse qui dirige cette voix ? « Voulez-vous que je danse, ou bien, voulez-vous que je parle ? », entend-t-on. L’interprète italienne, aux cheveux sombres, quasi crépus, à la voix forte et malicieuse livre sa vie dans cette pièce plongeant avec sincérité au plus intime. Danseuse, narratrice et comédienne, elle reconstruit son histoire, réajuste sa mémoire, partageant avec nous sa trajectoire, de ses débuts compliqués avec la danse classique jusqu’à sa folle rencontre avec Pina Bausch. Comment, après vingt-deux ans passés aux côtés de la créatrice du mouvement de danse-théâtre, est-il possible de trouver sa propre voie artistique ? Cristiana Morganti a en effet participé à toutes les créations de la compagnie du Tanztheater et y a forgé un rôle indispensable. En 2014, elle choisit de démissionner : une volonté de changement, une poussée créatrice. Elle retourne sur sa terre natale, quittée depuis les années 1990, pour initier un nouveau projet.
Elle décide alors de s’entourer d’artistes qui n’ont rien en commun avec la pratique de Pina afin de se détacher le plus possible de ce qui l’a formée et formatée. Assise sur la scène, un magnétophone à ses côtés, sa voix résonne. C’est Jessica, son double, sa psychiatre ou encore une journaliste atypique qui la sollicite en lui demandant les relations qu’elle entretient aujourd’hui avec la scène, avec sa situation de danseuse âgée. Avec beaucoup d’humour et de sensibilité, Cristiana Morganti se répond à elle-même et confie des souvenirs d’enfance, lorsqu’elle voulait devenir ballerine. Elle endosse sa robe de danseuse blanche qui s’embrase d’effets vidéo sur scène. Derrière elle, projeté sur un écran, son double au physique avantageux retouché sur Photoshop apparaît. Elle en rit. Avec ses talons rouges bien trop grands, la brune ébouriffée au caractère clownesque reprend sa gestuelle fluide de spirales. En hors-champ, sa voix. Soutien-gorge emmêlé, auréoles sous les aisselles, le corps douloureux, des gestes déjà vus. Son honnêteté prend au corps et émeut. Dans ce solo haletant, au rythme d’Iggy Pop, elle dévoile, tout en ironisant, les coulisses du monde artistique, de la schizophrénie nécessaire au métier d’interprète. Puis, elle fume… comme Pina Bausch dont l’empreinte demeure bien présente.
> Projection de Pina de Wim Wenders au cinéma Colisée (Montbéliard), dimanche 12 novembre